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MAJOGBÉ.

chait à deviner. Majogbé fut pris tout de suite. Le Père ne parlait pas en homme blanc, mais comme un homme noir. Il trouvait les expressions, les images, les détours, les périphrases, les comparaisons, les alos, les apologues et les mots qui allaient à l’esprit de son auditoire. Son éloquence était nègre comme son langage. Elle frappait. On ne dormait pas. Elle plaisait. Majogbé se trouvait tout remué. Il sentait en sa poitrine les mêmes mouvements que lorsque sa pirogue, à l’arrivée devant Eko, avait été secouée par le vent du large et la lame. Il sentait également une chaleur inconnue monter en lui, du ventre à la tête, quand cet homme parlait. Cela ne lui était jamais arrivé en écoutant les féticheurs d’Aké ou Fuluani, possesseur du bon génie des hommes jaunes. Et cependant, pas plus qu’il n’acceptait les mystères de Fuluani, il n’admettait ce que l’homme blanc disait en paroles si touchantes à la gloire d’un seul Dieu, Oloron. Le Père avait préparé son sermon sur l’oubli des injures. Cette théorie tombant sur une pure âme nègre ne pouvait y prendre racine. La charité, l’amour de l’homme bon pour l’homme bon, Majogbé comprenait cela ; mais quand il entendait dire que la vengeance est chose mauvaise et qu’il faut renoncer à punir ceux qui vous ont offensé, que cela est un crime, qu’il faut au contraire les aimer, son esprit se fermait. Cela ne pouvait être !

Il le dit à Adamou lorsque, après le sermon,