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MAJOGBÉ.

fille de ce maître détesté ? Pourquoi tous les hommes la désiraient-ils en cette soirée ? Est-ce qu’elle n’était pas aussi une créature mauvaise, coupable, fille haïe de la race exécrée qu’il avait juré d’exterminer ? Elle se levait comme une ennemie, avec son charme qui était sans doute une menace des mauvais génies. Il la détestait. Il ne la craignait point. Il serait fort. Il ne l’aimerait pas… Et l’instant d’après, il la revoyait chaste, lui disant des paroles amies, le regardant avec de grands yeux, des yeux plus tendres que ceux des biches de la brousse et plus charmeurs que ceux des chattes de la forêt, ces yeux dans lesquels, enfant, il aimait tant à voir son image… il respirait le parfum de son corps de vierge, et une émotion très douce passait dans tout son être, ainsi que le jour où il avait entendu à Eko les paroles de l’homme blanc qui, au nom d’Oloron, commandait d’oublier les injures.

En même temps que la fraîcheur tombait avec la rosée du matin, un apaisement se faisait en lui. Il fuma des pipes et pensa, plus calme, sans colère. Il se vengerait d’abord et ensuite il songerait à Banyane quand il ne serait plus esclave.

Lorsqu’il rentra, les lueurs pâles de l’aube éclairaient le bois des suppliciés.

Pendant plusieurs jours Majogbé vécut dehors. Il fit la fête avec les jeunes hommes de son âge, les