senti à me remplacer, j’aurais pu aller aider Modeste, qui a pas mal à faire.
— Vous remplacer, cousine, pas au jeu. J’aimerais encore mieux cuisiner, je crois, s’il me fallait choisir entre ces deux corvées. »
Elle s’installa, déplia son ouvrage, fit quelques points…
Puis, tout à coup, jetant là sa broderie :
« Tenez, j’y vais, aider Modeste. Peut-être que cela m’amusera. Elle est si drôle à contempler au milieu de ses casseroles ! Sais-tu, grand’mère !… Je crois que ce n’est pas seulement à cause de ta visite du dimanche que ta cuisinière astique si bien sa batterie de cuisine ; ce doit être surtout pour y pouvoir ajuster sa coiffe ou son fichu. L’autre jour je l’ai surprise à se mirer devant un chaudron. »
Elle sortit en riant.
Les trois femmes se regardèrent.
« Fameuse aide ! dit Rogatienne, qui s’interrompit de jouer afin de grogner tout à loisir. Cette petite est d’un égoïsme révoltant ! Oui, ré-vol-tant !… scanda-t-elle.
— Tu ferais mieux de dire inconscient, repartit Sidonie. Elle a tout au moins le mérite de la franchise. Elle n’essaye pas de donner le change : telle elle est, telle elle se montre.
— Pas belle moralement », observa Mme Lortet, avec un petit ricanement aigre.
Grand’mère Sophie intervint :
« Il faut tout dire… Cette enfant n’a pas l’habitude de se voir entourée de vieux visages comme les nôtres.
— Mauvaise excuse, grincha Rogatienne.
— Bah ! bah ! reprit l’aïeule, la vie est une école sévère. Clairette a le temps de changer sous l’empire des événements. Je trouve déjà bien joli qu’elle ne se plaigne pas de son genre de vie ; pas une amie de son âge !
— Dame ! nous serions bien en peine de lui en découvrir une à Arlempdes.
— N’ayez crainte, articula Sidonie avec son bon rire, elle saura trouver ce qui lui manque. À la sortie de la messe, elle a dit bonjour à deux ou trois jeunes filles du village, ses anciennes camarades de jeu ; nous pourrions bien les voir poindre un de ces jours : j’ai cru comprendre qu’elle les invitait à venir lui rendre visite.
— Sans avoir demandé la permission, remarqua Rogatienne ; c’est d’un sans-gêne !…
— Elle agit ainsi qu’on lui en a laissé prendre l’habitude, ma chère. Les parents sont seuls à blâmer », fit Pétiôto, toujours indulgente.
Et, pour couper court au débat ;
« Allons, où en sommes-nous ? cinq partout ! je boude… »
La partie de dominos reprit, menée attentivement, car chacune aimait à gagner.
À la cuisine, on jacassait plus qu’on n’abattait d’ouvrage.
« Modeste, avait dit Claire en entrant, il paraît que vous êtes surchargée de travail aujourd’hui.
— Pas plus que d’habitude, mademoiselle. Seulement Théofrède chauffe le four pour sécher ses pieux…
— Des pieux ! Que compte-t-il fabriquer avec ?
— C’est pour réparer la palissade du fond du jardin. Y a des brèches, qu’y dit. Alors Mlle Sidonie a pensé qu’une fois les pieux secs, en brûlant un fagot, on amènerait le four à point pour cuire une tarte. »
Modeste ajouta, en hochant sa tête brune encadrée du large nœud de ruban multicolore :
« C’est à cause de vous, mademoiselle Claire, ben sur. Quand ces dames sont seules, ce n’est pas souvent qu’on fait de la pâtisserie.
— Vraiment ! Eh bien, nous allons la fabriquer à nous deux, cette fameuse galette, puisqu’on la confectionne en mon honneur.
— Avant, faudrait p’tête ben passer les couteaux à la pierre, ça débarrasserait la table.
— Ah ! non, par exemple ! Je déteste avaler de la poussière de brique pilée.