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comme dit René Brion. Si j’étais donc l’araignée que cette étourdie de Modeste a laissée au coin du portrait de l’oncle Philippe ! Je saurais ce qu’ils vont se dire… Bah ! grand’mère me le racontera. »

(La suite prochainement.) P. Perrault.

MONOGRAPHIE ORNITHOLOGIQUE

LES PICS

Sous les fiers arceaux de nos grandes forêts, dont la sévère beauté dut jadis inspirer les premiers architectes de nos cathédrales gothiques, au cœur même des bois, on est étonné de l’impressionnant silence qui règne sous ces voûtes de verdure. Aucune voix jaseuse, aucun cri d’oiseau ne révèlent la vie en ces lieux solitaires : on dirait que tous les êtres animés se sont donné rendez-vous en lisière, pour se rapprocher de l’homme, douteux ami, et jouir de la vivifiante lumière qui ne pénètre guère à travers les sous-bois des massifs forestiers.

Pourtant là-haut, par l’échappée de soie bleue qui transparaît entre les cimes, on surprend l’orbe lent de quelque rapace, buse ou épervier, tandis que sous les fûts, le cri strident des pics résonne bruyamment et se répercute en éclat de rire dans la sonorité des échos. La tribu des pics est nombreuse et les mœurs ne varient guère d’une espèce à l’autre. Ce sont de tristes oiseaux, aux formes trapues, anguleuses. De même que l’alouette se dissimule sous une livrée terreuse en parfaite harmonie avec le milieu où elle végète ; de même que la bécasse, la perdrix, le râle savent se confondre par une affinité de tons avec les objets qui, habituellement, les environnent, de même il fallait au pic un habit vert comme la feuille, grisâtre comme l’écorce, pour échapper plus facilement aux attaques de ses ennemis. L’espèce type, le pic vert ou pivert, le plus commun, est entièrement d’un beau vert, sauf le front et la nuque, qui se teintent de cramoisi, et le croupion, maculé de jaune citron. Ajoutez à cela des moustaches noires qui encadrent un œil vif et inquiet, des ailes amples, concaves qui bruissent aigrement quand l’oiseau vole, et vous aurez une idée assez complète de la physionomie de cet oiseau des bois.

Sur la grande scène de la Nature, au pic est dévolu le rôle de charpentier. Destiné à chercher sa nourriture aux flancs des arbres ou parmi les cavités, obligé, par suite, de prendre les positions les plus variées, les plus hétéroclites, la Providence l’a armé robustement pour la lutte. Les pieds courts et musclés sont disposés de telle sorte que la moindre aspérité, la moindre gerce peuvent leur servir à s’agriffer. Deux doigts à l’avant, deux à l’arrière (caractère propre à la famille des grimpeurs à laquelle appartiennent les pics), tous quatre casqués d’ongles acérés, voilà de quoi se cramponner solidement. De plus, la queue, composée de pennes raides, lui sert aussi de point d’appui.

Le métier de charpentier exige des outils sérieux. La Nature y a pourvu encore et a doté le pic d’un bec admirable, véritable lame durement emmanchée dans un crâne à toute épreuve. Carré à la base, aplati dans le sens latéral, cet instrument lui permet d’entamer les bois les plus durs. Ce n’est plus un bec, c’est une cognée, un marteau, une besaiguë. Tard et matin, le pic en use et en abuse, infatigable dans ses allées et venues pour chercher sa pâture qu’il gagne, il s’en peut vanter, à la sueur de son front. C’est de son bec qu’il creuse un nid au cœur de quelque végétal dont son instinct lui a révélé la carie intérieure, et par cela même plus facilement