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attaquable. C’est avec lui qu’aux premiers jours de mars il rappelle sa compagne, en dépit des averses, et l’avertit de sa présence par des coups répétés sur une branche sonore. Il a, sans doute, conscience du manque d’harmonie de son organe et il n’en est pas prodigue : à peine parfois jette-t-il un cri guttural lorsqu’il prend son vol. C’est un dur métier que celui qui consiste à marteler l’écorce sans relâche pour en faire jaillir les insectes dont le pic agrémente ses menus ; et ce labeur ne permet guère de trouver le temps de cultiver la musique ou d’amasser de la graisse. En hiver surtout, quand les grosses gelées ont figé pour un temps la vie des tout petits, le pic doit faire carême plus souvent qu’à son tour. On le rencontre alors en tête-à-tête avec une fourmilière, creusant au plus profond du monticule pour en découvrir les propriétaires ; sa langue, démesurément allongée et toute visqueuse d’une gluante salive, s’introduit dans les galeries, fouille en tous sens et revient chargée de victimes qu’il absorbe prestement. Ensuite, pour varier, il va glaner sous les écorces les rares cloportes, les araignées, de chétives larves qui se sont oubliées avant la venue des frimas. Son estomac, tourmenté, s’accommode de tout, et, pour le satisfaire, le pauvre oiseau ne connaît pas de repos.

Aux premières bouffées printanières, cette sombre existence s’éclaire un peu. Le ménage va se terrer dans la grande solitude au creux de quelque vieux hêtre dont le fût gigantesque et lisse défie toute escalade. Un trou dans le bois, une gerce causée par une branche sèche que l’humidité a cariée, et voilà l’emplacement trouvé pour le nid. À grands coups de bec, le ménage en élargit la cavité et, sur les débris amoncelés, couchette vraiment peu confortable, la femelle dépose de trois à cinq œufs d’un blanc pur. Dans cette cave, du moins, ils seront à l’abri d’une surprise. Seuls l’écureuil et la belette, personnages au corps fluet, sont assez souples pour s’introduire dans l’obscur couloir, et si j’en crois les nombreux nids saccagés que j’ai souvent découverts, c’est là un genre de maraude qui leur est familier.

Quand les petits sont éclos, grotesques avec leur cou grêle et leur bec énorme, ils deviennent encore victimes des dénicheurs. Un jour que j’excursionnais dans un bois, je surpris un moutard qui, d’une main, cramponné à une branche, de l’autre fouillait dans sa poche, la retirait pleine et en versait le contenu par la fenêtre du « pima » (c’est le nom qu’à la campagne on donne aux différents pics). Ma présence inopinée faillit le faire choir au bas de l’arbre ; mais, comme je ne portais ni plaque menaçante au bras, ni képi galonné, il continua son manège qu’en deux mots il me dévoila : sa main, quoique petite, n’avait pu s’introduire dans le trou ; alors sa malice de gamin ingénieux lui avait suggéré ceci : il avait rempli ses poches de sciure, puis, se hissant à portée du nid, l’avait déversée à pleines mains sur la tête de ses habitants. Ceux-ci, sous peine d’être enterrés vivants, s’agitaient en désespérés, et, tant bien que mal, se maintenaient à la surface. De sorte qu’en peu de temps, l’excavation se trouvait comblée, et les jeunes, forcément, mirent le bec à proximité du futé gamin qui les cueillit à loisir.

Nous comptons, en France, quatre ou cinq variétés de pics. Les plus connus sont : le pic vert, le pic mar, qui vit en Lorraine, l’épeiche au plumage agréablement varié de blanc, de noir et de rouge, et l’épeichette, qui fréquente l’ouest et le centre de la France. Ce sont tous de bons serviteurs, dont le merveilleux appétit se satisfait aux dépens des insectes nuisibles à nos forêts, et cette raison majeure les a fait classer dans la catégorie des oiseaux utiles. On avait cru longtemps que les pics meurtrissaient les arbres en y creusant leur trou, mais des observations rigoureuses ont permis