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tant de gens, qui iront fait qu’y passer, et qui continueront à y passer jusqu’au jour du jugement dernier ? Allons donc ! Ce n’est pas moi qui me suis trompé ! Adieu. »

Et il partit majestueux et terrible.

Telle était sa colère qu’il traversa la ville sans accorder un regard ni aux maisons gigantesques qui auraient logé des tribus entières, ni aux boutiques splendides où s’étalaient des bijoux précieux, des armes étincelantes, des étoffes de toutes nuances, ni aux roumias au visage découvert, qu’il s’était promis de foudroyer de son mépris. Il allait, droit devant lui, les yeux fixes, sans autre souci que de sortir au plus vite de ces lieux maudits.

Une suprême épreuve lui était réservée. Il longeait un édifice imposant, surmonté d’une tour élégante, lorsque, soudain, un bruit formidable déchira les airs.

Épouvanté, il leva la tête, cherchant le point de départ de ce tonnerre de bronze : il aperçut, à travers les lames de bois qui garnissaient une baie ouverte dans la tour, un monstre noir qui se balançait dans l’ombre, et le monstre parlait, riait, grondait, et voici ce qu’il disait :

« Va-t’en, va-t’en, va-t’en, Berger ! Tu as été mal inspiré en venant ici. Retourne garder tes moutons ; tu ne verras, dans tes montagnes aux sources limpides, ni la vaste mer dont l’utilité t’échappe, ni porteur de sabre facétieux, ni mozabites grossiers. Va-t’en, va-t’en, va-t’en, berger. »

La cloche chrétienne, muézin d’airain, parlait, riait, grondait en français ; aussi ne comprit-il pas les conseils salutaires qu’elle lui prodiguait. Mais il tira, néanmoins, grand profit de son chant, car la voix puissante du monstre accompagnait, comme une basse continue, ce qu’il se disait à lui-même, et lui donnait des ailes pour fuir plus vite.

Il vit enfin la porte de la ville, s’v engouffra à corps perdu, et la voix, affaiblie par la distance, le suivit jusque-là.

« Va-t’en, va-t’en, va-t’en !… »

Henri Balesta


DISPARUS
Par JACQUES LERMONT

IV

La poste de la falaise.


Il faisait jour lorsque Yves s’éveilla, c’est-à-dire que le puits projetait un cercle de lueur blanche sur le sable de la cave.

L’enfant se sentit plein de courage, au réveil. Et pourtant, il se disait que cela ne servait à rien, d’avoir du courage. La petite dormait toujours. Yves se leva. Ses yeux, accoutumés à l’obscurité, distinguaient mieux, ce matin-là, le circuit à peu près régulier de sa prison. Ne pourrait-on pas, par hasard, user les bords d’une fissure de façon à se pratiquer un passage ? Ce serait bien long… Pour ce travail de patience, il n’avait que son couteau ou d’autres pierres, s’il en trouvait, et il avait déjà cherché inutilement. Néanmoins, le jeune garçon recommença l’examen des parois de la grotte.

Du côté opposé à l’endroit où il avait étendu le varech comme paillasse, une fente existait, très mince, et placée en retrait. Yves y avait déjà enfoncé la main ; mais il avait senti, dés l’extrémité des doigts, ou plutôt cru sentir, le roc résistant, comme partout ailleurs. Cette fois, en palpant plus minutieusement l’intérieur de cette fissure, l’ongle d’Yves détacha quelques brins de sable qui roulèrent de son côté. Ce fut une grosse émotion. D’autres menus cailloux et du sable roulèrent encore,