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MONOGRAPHIES VÉGÉTALES[1]

LES PLANTES CÉLÈBRES OU LÉGENDAIRES

Autre histoire qui, non moins que la précédente, témoigne de l’énergie étrange et pour ainsi dire perspicace, semble-t-il, avec laquelle la plante s’acharne à vivre et lutte contre tout obstacle jusqu’à la victoire, parfois même jusqu’à la mort.

Le chêne de Ville-d’Avray.

C’était aux environs de Ville-d’Avray.

Dans les anfractuosités d’un rocher fendu et déchiqueté par les gelées des grands hivers, un petit chêne semé par un coup de vent avait poussé, grandi, entre ciel et terre.

Grandi, c’est beaucoup dire, disons plutôt misérablement végété. Pendant quelques années, les divers débris, poussières et feuilles mortes, amoncelés entre les pierres disloquées, avaient plus ou moins suffi à ses très modestes besoins. Bien que rabougri, tordu et noué, il avait survécu, le pauvre hère ; mais voilà que cette maigre nourriture, diluée par les pluies, finit par lui manquer presque entièrement, si bien que notre misérable avorton se mourait d’anémie, c’est-à-dire d’inanition chronique… faim horrible, faim de Tantale, rendue surtout aiguë par l’incessante tentation que lui donnait, au pied même de la roche perpendiculaire, le terrain fertile, noirâtre, qui s’y étendait tout alentour.

Qui dira les sourds tressaillements de la plante qui lutte contre la mort, ses muettes langueurs galvanisées par la convoitise ? Qui saurait raconter, ici, en particulier, ce qui se passa dans l’organisme… disons, si vous voulez, dans l’âme, dans la toute petite âme de notre chêne, quelles attractions mystérieuses s’établirent entre le sol affriolant et le martyr affamé, quelles facultés s’aiguisèrent en lui, quelles vertus, enfin, surgirent de ses désirs inassouvis ?

Toujours est-il que notre chêne énergique, tenace et prêt à toute aventure, voulant vivre à tout prix, mais ne pouvant, hélas ! attirer la terre… marcha vers elle, lui, l’impuissant, l’esclave misérable inexorablement rivé à sa roche stérile.

Il marcha, non, mais s’étira, s’allongea, émit une racine improvisée qui, poussant en plein air, fut expédiée en reconnaissance, mieux que cela, envoyée aux provisions. Aussi, quand la racine put atteindre le sol, avec quelle ardeur elle s’y enfonça !

Notre chêne était sauvé désormais. Il le comprit si bien qu’il déménagea de son rocher, se déplaça en faisant de cette racine libératrice sa propre tige, tige de création nouvelle, sur laquelle, se redressant peu à peu, il vécut dès ce jour, abondamment nourri, prospère et florissant.

Troisième histoire :

Le haricot récalcitrant.

Disons tout d’abord que c’est parmi les plantes grimpantes ou sarmenteuses que se rencontrent les individualités les plus curieuses que nous appellerions volontiers « les plantes à caractère ». Les unes ressemblent à des rubans ondulés, les autres se tordent en larges spirales ou se suspendent en élégants festons. D’autres, enfin, appelées volubilis, s’enroulent autour de tout appui avoisinant, mais d’une façon toute spéciale, ayant la propriété singulière de toujours se diriger dans le même sens, quels que soient les obstacles qu’on leur oppose. Le haricot et le liseron, par exemple, montent de gauche à droite, étant donné que la convexité de la tige

  1. Voir les nos 137 et suivants.