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malade. Il n’en était rien. À force d’infortune, le fils du chevalier de Valjaquelein en était arrivé à la colère.

Il n’avait pas fermé l’œil. Au jour, il s’était installé de nouveau devant une goutte de son sang comme encrier, puis il avait récrit un billet pareil au premier. Maintenant, accoudé à « la fenêtre », il regardait la mer fixement. L’attitude du petit homme semblait celle du défi au malheur. Et il discutait à part lui ce qu’il allait jeter avec la lettre pour servir de lest et pour attirer les regards. Il fut sur le point de décider qu’il lancerait sa veste ; mais l’objection qui le hantait était forte, toujours la même. Le passant, quel qu’il fut, qui verrait la veste, n’y ferait peut-être pas plus attention qu’aux autres loques et vieux chiffons qui traînent souvent sur les grèves, ou bien, ramassant ce vêtement, il en arracherait le papier, n’y prêtant aucune attention, et l’épave ne servirait qu’à le faire croire noyé.

Il en était là de ses hésitations quand il entendit la voix de Manette.

La petite s’était réveillée toute seule, parce qu’elle avait assez dormi ; elle était restée quelque temps sans rien dire, la tête dans ses petits bras, après s’être étirée, regardant en l’air. Il y avait du soleil sur la mer. Le jour, entrant à la fois par le puits et par la fenêtre, éclairait l’intérieur de la grotte plus qu’il n’avait fait les jours précédents. Les grands yeux de Manette avaient erré sur la voûte de pierre, puis ses regards s’étaient fixés vers le coin ordinairement le plus sombre, vers l’angle auquel Yves tournait le dos. Depuis qu’elle avait regardé là, l’enfant, silencieuse, ne quittait pas des yeux ce point.

Enfin, elle appela :

« Grand Yvon !

— Je n’ai plus de gâteau à te donner », répondit le malheureux enfant, laissant cette fois la vérité s’échapper malgré lui.

Il s’attendait à une explosion de pleurs. La petite ne parut pas avoir fait attention à la réponse, et reprit :

« Grand Yvon, y a une porte, là-haut. »

Yves se retourna. Il se dit qu’elle était malade, que ce devait être déjà un accès de délire causé par la faim. Le prisonnier ne pouvait rien pour soulager sa compagne de malheur. Sans répondre, il remit son menton dans sa main, et se reprit à guetter la mer. Mais Manette répéta :

« Y a une porte là-haut, grand Yvon. »

Cette fois, Yves tressaillit. Elle parlait si doucement. Il se retourna, considéra Manette avec attention et suivit la direction de son regard. Il aperçut alors une planche carrée, assez large, encastrée dans la roche. C’était évidemment un travail d’homme, d’ouvrier.

Yves bondit sur ses pieds. Il courut à la paroi, comme un lion en cage saute sur la porte de bois qu’il connaît, qui s’ouvre quelquefois pour laisser passer le dompteur et derrière laquelle le fauve sent que serait la liberté.

La main d’Yves, levée au-dessus de sa tête, atteignait à peine le bord inférieur de la planche !

Il resta un moment abasourdi de ce nouvel obstacle. Il maudit amèrement son état d’enfant, qui le rendait impuissant cette fois encore. Il ne pourrait pas plus atteindre cette porte qu’il ne pouvait gagner la sortie du puits.

Mais il inventa vite un moyen d’arriver à la planche.

« Oui, il a une porte, fit-il. Mais elle n’est pas à ma portée ; tu vas monter sur mes épaules et tu l’ouvriras.

— Je veux bien », fit la petite, en se tournant sur le varech.

Yves, cependant, examinait d’en bas la planche ; il y avait une serrure.

« Tu ne pourras pas ouvrir, dit-il ; c’est fermé à clef.

— Eh ben, faut prendre la clef.