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Yvon se creusait la tête, regardait à droite et à gauche, cherchant comment il aurait raison de cette caisse. Ses yeux se portèrent aussi au-dessus. Il y avait là deux petits sacs de toile qu’il n’avait pas aperçus tout d’abord. Ils étaient simplement placés sur le couvercle et tout ouverts. Yvon plongea la main :

« Manette ! Manette ! attention ! »

Et il lança l’un des sacs. Des pièces d’or tombèrent, tintant d’un joli son clair contre le roc de la caverne, s’éparpillant, roulant dans les coins.

« C’est des louis ! c’est des louis ! s’exclama Manette en joignant les mains. Sont jolis ! »

Elle en oubliait la soif et se mit à jouer avec les belles pièces à l’effigie du roi Louis XV.

Le second sac contenait à peu près la même quantité de louis. Yvon, bien entendu, eut préféré aux deux trésors quelques crêpes de blé noir et deux verres d’eau, mais où étaient les marchands ?…

Yvon se sentait épuisé de fatigue et de déception. Quand même, il pouvait se donner des forces comme les matelots… L’eau-de-vie ! Il en but une gorgée et en versa quelques gouttes à Manette, qui fit la plus laide grimace permise à une si jolie petite frimousse. Yvon imagina d’en mettre un peu dans le creux de sa main et d’y mélanger de la cassonade. Manette trouva ça très bon, mais elle aurait bien voulu de l’eau après.

Se sentant ranimé, Yves s’en prit derechef au grand coffre, et n’ayant pas d’autre moyen, il commença l’œuvre de patience de l’entamer avec son couteau. Enlevant sur le bord de minces rubans de bois, de menues échardes, il rongeait le bois peu à peu. L’entaille avança bien lentement, mais elle se fit. Quand son couteau eut pratiqué un petit trou suffisant pour qu’on pût voir, Yvon avec anxiété rapprocha la chandelle à la lueur de laquelle il travaillait dans l’« armoire ». Il tacha de se rendre compte. L’objet dur que rencontrait la pointe de son couteau semblait de la même couleur que du bois. Yvon en détacha une parcelle : c’était du biscuit de marins, celui qu’ils emportent sur les navires et cassent à coups de hache pour faire la soupe.

Du pain ! du pain bien dur, mais enfin, du pain ! Là était la trouvaille.

Il l’annonça à Manette, fort occupée à confectionner une poupée en mettant des soies en tapons.

Manette ne parut pas attacher la moindre importance à cette nouvelle. Elle semblait enchantée de sa situation présente. Yvon avait allumé, à la prière de la petite, une seconde chandelle qui coulait sur le rocher — un véritable gaspillage ! — Et, pleine de courage, toute rouge, dans une bienheureuse contention d’esprit, elle travaillait à fabriquer sa poupée. Yvon, l’examinant du haut, se dit que l’eau-de-vie mélangée à la cassonade n’était pas étrangère à l’évidente gaîté de sa compagne. Il réfléchit sur cet incident, non sans inquiétudes. Il ne savait pas si boire de l’eau-de-vie suffisait pour empêcher de mourir de soif, et quelle serait la suite de ces libations forcées.

Excité lui-même un peu, et l’estomac de plus en plus creux, il travailla vigoureusement à élargir la brèche du coffre à biscuits et parvint à retirer quelques-unes de ces inappréciables tuiles nourrissantes. Du pain qui sonnait quand on le frappait sur du bois. Il voulut y mordre, mais ses dents s’arrêtèrent dessus. Alors, il procéda comme pour le coffre : il fit des raclures et détacha des petits fragments du biscuit qu’il mit à fondre dans sa bouche et dans celle de Manette. Il eut beaucoup de peine à obtenir qu’elle ne crachât pas ces miettes. Elle voulait plutôt du sucre et de l’eau qui brûle. Yvon usa de son autorité pour lui refuser énergiquement l’eau-de-vie sucrée et essaya de lui faire entendre qu’ils n’avaient pas d’autre pain, et qu’ils étaient bien heureux d’avoir trouvé celui-ci et qu’il