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fallait en manger absolument, le laisser dans sa bouche comme un bonbon. Manette obéit et resta tranquille, occupée qu’elle était de sa nouvelle fille à la tête jaune d’or et au corps vert, une poupée perroquet, dont l’habillement de soie orange et feuille eût coûté bien cher dans un beau magasin.

Yvon regardait cette poupée en souriant. Il se demanda comment Manette avait pu donner et conserver à la tête de la prétendue poupée la forme d’une boule. L’explication était simple : Manette avait placé dans l’étoffe jaune un assez gros médaillon d’or qu’elle portait à son cou, pendu à un ruban sous ses vêtements, et qu’Yvon n’avait jamais aperçu. C’était un joli bijou à couvercle, dans l’intérieur duquel il y avait des cheveux de la maman de Manette. Sur une des faces se voyait la miniature d’une dame avec de grands cheveux poudrés et des perles autour du cou.

« Qui est cette dame ?

— C’est maman. Ta maman Manon n’est pas comme ça ?

— Non, fit Yves. Elle ne porte jamais de perles et elle ne met pas de blanc sur ses cheveux. »

Yvon pensait au parti qu’il pouvait tirer de ce bijou. Certes, si on le trouvait, celui-là, au pied de la falaise, il ne passerait pas inaperçu, et si on l’ouvrait pour voir ce qu’il y avait dedans, on lirait certainement le billet qu’il contiendrait. Yvon résolut, sans en rien dire à Manette, de couper un grand morceau de soie écarlate, d’en envelopper le bijou contenant le billet, et de jeter le tout par la lucarne au pied de la falaise. Ainsi enveloppé, le médaillon ne courait pas le risque de se briser en tombant.

Ce projet arrêté, le prisonnier alla voir où en était la mer. La marée était haute. Il fallait attendre.

Tandis qu’il était là, il lui vint à l’esprit cette observation qu’il n’avait jamais passé son bras par la lucarne que la fois où il avait jeté le bouquet. Il lui prit envie de vérifier la nature et la position de la roche extérieure tout autour de la lucarne. Il introduisit son bras dans l’ouverture, y colla son épaule et tâtonna dehors. Il sentit d’abord le contact de la roche sèche et chaude que le soleil éclairait. Mais, en baissant la main, il rencontra de l’herbe fraîche. Il en ramassa une touffe entre ses doigts, la cueillit, et la ramena dans la caverne. Quel fut son étonnement quand il vit pendre à ces herbes une motte de terre toute dégouttante d’eau boueuse !

De l’eau ! l’eau tant désirée !

Mais comment la recueillir ?

Évidemment c’était la même qui sortait en source au coin du petit chemin. Cette eau s’infiltrait entre les rochers, coulait là, peut-être même suintait seulement, et y était bue par le soleil. Cependant, la motte de terre était bien trempée. Yves arracha d’autres herbes et eut la satisfaction de sentir que, dans un petit creux très étroit formant rigole, l’eau coulait constamment et même était extrêmement fraîche.

Notre ami Yvon avait l’esprit inventif. Il ne fut pas long à déformer son chapeau tricorne sur un bord et à le transformer en un petit récipient qu’il ramena bientôt rempli de la valeur d’un tiers de verre d’eau. Il voulut en faire la surprise à Manette en lui portant sans rien dire ce breuvage inespéré. Manette était tombée endormie au milieu d’un fouillis de soie, sa poupée perroquet entre les bras. Yves sourit. Il poussa un grand soupir. Il s’était passé bien des choses depuis le matin, bien des choses heureuses. Le matin, le pain manquait, on allait mourir de soif. À présent, du pain lui était pour ainsi dire tombé du ciel, de mauvaise qualité, mais en quantité qui rassurait pour l’avenir. Et voilà qu’il avait découvert une fontaine. Le petit Breton se jeta à genoux et pria avec reconnaissance. Parmi les découvertes si importantes, si surprenantes de la journée, ce qu’Yves esti-