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que cette lettre du cadet des Valjacquelein vous eût été écrite et portée avec l’assentiment des ravisseurs. Il est fâcheux que nous ne possédions pas la lettre entière. Il est probable que la fin de cette lettre contenait de leur part des propositions d’argent.

— C’est inconcevable, répéta le chevalier. Et que puis-je, si vous dites vrai ? »

Le tabellion ne répondit pas immédiatement. Il se gratifia d’une nouvelle prise de tabac d’Espagne, ce qui ponctuait d’ordinaire ses graves méditations, et, d’un geste lent et mesuré, il reprit le billet d’Yvon et procéda à un second examen plus attentif. Il éleva le papier à ses yeux, du côté de la lumière de la fenêtre, comme s’il espérait retrouver trace de l’écriture effacée ; enfin, fronçant le sourcil, il déposa le papier devant lui sans le quitter du regard, recula sa chaise et ouvrit un tiroir. Le chevalier suivait tous ses mouvements dans une attente ahurie. Me Hornek tenait maintenant à la main le manche d’une loupe, ou plutôt d’une large lentille de verre qui grossissait l’écriture, et servait à constater l’authenticité des parchemins, des testaments. Il examina. L’examen fut minutieux et long, du moins parut-il tel au chevalier. La voix du notaire s’éleva plus grave encore :

« Monsieur le chevalier, je constate en cette pièce, par l’écriture de cette pièce, un fait indéniable qui vient confirmer ma supposition en ce qui concerne la probable privation de liberté dont souffre votre héritier. Toutefois, contrairement à ce que je supposais d abord, il semble certain que le cadet des Valjacquelein a écrit ces mots, que je vois là tracés, hors de la présence de ses gardiens et en se cachant d’eux : cette lettre a été écrite avec du sang.

— Avec du sang ! fit le chevalier terrifié. Morbleu, Me Hornek, cela passe toute mesure…

— … Et écrite, continua le tabellion, sans plume, au moyen de la pointe d’une broche peut-être, ou d’une forte épingle. Voyez vous-même. »

Le chevalier se pencha au jour de la fenêtre près de laquelle les deux hommes s’étaient approchés. La couleur des lettres grossies apparaissait indiscutablement sanglante. Les bâtons dont elles étaient formées présentaient des hachures d’un rose vif, et, par places, le sang ayant séjourné en séchant, avait laissé des épaisseurs plus noires. Enfin, on distinguait très bien à la loupe la forme de la pointe qui avait dû être inclinée sur le papier, imprimant son empreinte, et, à d’autres places, le fossé qu’avait pratiqué la pointe dans l’épaisseur du papier lorsqu’elle s’était promenée dessus étant redressée.

« Je m’étonnais aussi que l’eau de la mer eût fait disparaître aussi complètement toute trace d’encre. Le sang se lave plus facilement et, tenez, des mots sont restés de la fin de la lettre et demeurent lisibles simplement par l’empreinte de la pointe. Voici très apparent, le mot calvaire, qui semblerait extraordinaire dans le langage d’un enfant de dix ans. Il est à craindre que ce mot ne fasse allusion sinon à des souffrances matérielles, au moins à la douleur d’être séparé de sa famille. Et, tenez, plus loin, un second mot apparaît, le mot onces. Ce mot est quelquefois employé pour désigner une quantité d’or. Le jeune cadet parlait là, probablement, des prétentions de ses ravisseurs, quant à la rançon. Ce n’est pas eux qui le font écrire ; il eût écrit avec de l’encre et ne se serait pas piqué le bras, comme il l’a fait, pour avoir de quoi tracer la missive, en cachette. »

Le chevalier était atterré.

« Que faire, mon Dieu ? » demanda-t-il d’une voix tremblante.

— Si les événements de Paris n’avaient pas le caractère de gravité que vous savez, je vous conseillerais, monsieur le chevalier, d’aller vous jeter aux pieds du Roi et de voir M. le Premier Ministre Necker. Vous obtiendriez