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BOURSES DE VOYAGE

James Cook aux îles du Pacifique, Dumont d’Urville à la Nouvelle-Zélande et aux contrées antarctiques, Livingstone et Stanley en Afrique, Hudson Parry et James Ross aux régions du pôle nord !… Ils répétaient avec Chateaubriand que le globe terrestre est trop petit, puisqu’on en a fait le tour, et ils regrettaient que ce monde n’eut que cinq parties et non une douzaine !… Ils se voyaient déjà loin… loin, bien que l’Alert ne fut qu’au début de sa traversée et encore dans les eaux anglaises !…

II est vrai, d’autre part, que chacun d’eux eût été heureux, au moment de quitter l’Europe, de saluer son pays une dernière fois, Louis Clodion et Tony Renault la France, Niels Harboe et Axel Wickborn le Danemark, Albertus Leuwen la Hollande, Magnus Anders la Suède : il n’y fallait point songer.

Seuls, Roger Hinsdale, John Howard, Hubert Perkins, auraient cette satisfaction d’envoyer un dernier adieu à cette Irlande qui, avec la Grande-Bretagne, complète la trinité du Royaume-Uni.

Et, à partir du lendemain, après avoir franchi le canal de Saint-Georges, ils ne rencontreraient pas un continent, pas une seule île avant l’arrivée dans les mers d’Amérique, où chacun d’eux retrouverait un peu de ce qu’il laissait en Europe.

Du reste, on va le voir, un certain temps se passerait sans que les côtes britanniques eussent disparu sous l’horizon.

En effet, la brise qui venait de se lever avait permis à l’Alert de quitter son mouillage de l’anse Farmar. Mais, ainsi qu’on pouvait le craindre, cette brise de terre, sans force ni durée, mourait à quelques milles au large.

Pour prendre direction au sortir du canal de Saint-Georges, l’Alert devait mettre le cap au sud-ouest, et c’est bien ce qu’eût fait le capitaine Paxton. Et, s’il avait pu pousser jusqu’à une centaine de milles, peut-être aurait-il rencontré le vent mieux établi en pleine mer. Telle n’était pas l’intention d’Harry Markel, et ce serait vers le sud qu’il donnerait la route au delà du canal.

Au surplus, ce qui aurait favorisé ses abominables projets, c’eût été de s’éloigner le plus possible de la côte pendant la nuit, de se déhaler des nombreux bâtiments qui la fréquentent, et que retenait le défaut de brise.

Or, la mer était au calme blanc. Aucune ride à sa surface, pas même un clapotis, ni à la côte, ni aux flancs du navire. La mer d’Irlande vidait tranquillement ses eaux dans l’océan Atlantique.

Il suit de là que l’Alert était aussi immobile qu’il l’eût été entre les rives d’un lac ou d’une rivière. On ne sentait pas à bord le plus léger balancement de roulis, grâce à l’abri de la terre. M. Horatio Patterson se félicitait, à la pensée qu’il aurait le temps de s’acclimater et de se faire le pied marin.

Les passagers prenaient donc cet état de choses en patience, et, d’ailleurs, quel moyen d’y remédier ? Mais que d’inquiétudes pour Harry Markel et son équipage dans ce voisinage de la terre ! Il était toujours à craindre qu’un aviso de l’État vînt mouiller à l’ouvert du canal de Saint-Georges, avec ordre de visiter tous les bâtiments qui sortiraient de la baie de Cork.

À cette inquiétude se mêlait aussi la colère. Harry Markel se demandait s’il pourrait en empêcher la manifestation. Corty et les autres montraient des figures dont les passagers finiraient peut-être par s’effrayer.

John Carpenter et lui essayaient vainement de les modérer. On ne se fût pas expliqué une telle irritation par les contrariétés du temps. Si ce retard était désobligeant, c’était surtout pour M. Patterson et ses jeunes compagnons, non pour des matelots indifférents à tous ces désagréments de la mer.

Harry Markel et John Carpenter causaient,