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Fatma. — Puisse la foudre l’écraser, cet infâme voleur !

Hassan. — Prends garde, Fatma, la malédiction retombe sur celui qui maudit.

Fatma. — J’y consens, pourvu qu’il en ait sa part, lui.

Hassan, sévère. — Fatma ! Fatma !

Fatma. — Qu’allons-nous devenir ? qu’allons-nous devenir ?

Hassan. — Ce que le ciel voudra.

Fatma. — Demain ! partir demain ! où irons-nous ?

Hassan. — Allah nous conduira.

Fatma. — Nous n’avons plus de dattes, plus d’olives ; tout ce qui nous reste pour souper ce soir et déjeuner demain, c’est une poignée de riz et un gâteau d’orge.

Hassan. — Un souper et un déjeuner d’assurés ! Nous sommes dans les favorisés, Fatma. Tant d’autres n’ont rien.

Fatma. — Les autres ! les autres ! Ah ! vous me mettez en colère, vous. Toujours calme, toujours tranquille, quoi qu’il vous arrive.

Hassan. — Eh, sans doute, à quoi servirait-il d’avoir vécu si l’on n’acquérait un peu de sagesse ?

Fatma. — J’ai vécu plus que vous, moi, et pourtant je ne suis pas sage ; pas sage à votre manière, au moins ; et je ne voudrais pas l’être, puisque, quand on est sage, il faut se laisser voler, piller, dépouiller, égorger, massacrer sans dire mot. Je veux crier, moi, je veux crier !

Hassan, souriant. — On l’entend. Bonne Fatma, c’est pour moi que tu t’irrites ; tu serais plus patiente, j’en suis sur, s’il ne s’agissait que de toi.

Fatma. — Peut-être bien. Mais vous voir malheureux, je ne peux pas le souffrir. Allah est bien injuste d’avoir réduit à la misère un homme si bon.

Hassan. — Ne blasphème pas. Allah est le maître ; tout lui appartient. Soyons reconnaissants de ce qu’il nous donne, résignés à ce qu’il nous enlève.

Fatma. — Résignés !

Hassan. — D’ailleurs, rien n’est permanent ici-bas : dans la prospérité, le malheur n’est pas loin ; dans l’infortune, la joie est proche. Espérons donc, puisque nous sommes malheureux. (Tonnerre plus rapproché.) L’orage augmente, le vent souffle très fort. Ferme la porte, Fatma.

Fatma va regarder au dehors et revient après avoir fermé très brusquement la porte. — Ah ! maître, deux étrangers viennent de ce côté. Ils vont sûrement vouloir se mettre à l’abri chez vous.

Hassan. — Des hôtes ! béni soit Allah qui les envoie !

Fatma. — Vous n’allez pas les recevoir, ceux-là. Encore des malfaiteurs, sans doute.

Hassan. — On ne peut voler qui n’a plus rien. Et, quand je posséderais tout l’or du calife, quand je serais sûr que ce sont des larrons, je ne les recevrais pas moins. Hâte-toi d’ouvrir et de les inviter à entrer. (Elle secoue la tête négativement.) Tu ne veux pas ? J’irai moi-même. (Il se lève et va ouvrir la porte.)


Scène II

Les mêmes, HAAROUN AL RASCHID, GIAFFAR.

Hassan. — Soyez les bienvenus, seigneurs, dans mon humble logis.

Haaroun. — Allah soit avec toi, mon hôte ! Nous avons été surpris par l’orage. Nous sommes loin de Bagdad. Heureux qui a un toit pour s’abriter !

Hassan. — Celui-ci ne m’appartiendra plus demain ; mais je bénis Allah de ce qu’il me le laisse encore aujourd’hui pour vous y recevoir. (Il fait asseoir les deux étrangers sur les coussins, et s’assied lui-même auprès d’eux.) Fatma, sers-nous ce que tu as de provisions.

Fatma, à part. — Il se plaignait presque