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de ce que le déjeuner de demain était assuré ; voilà des gens qui nous préserveront de ce malheur. Enfin, ils ont l’air honnête au moins, ceux-là. (Elle pose sur la natte le riz et la galette ; Hassan et ses hôtes commencent à manger.)

Hassan. — Je regrette, seigneurs, de ne pouvoir vous faire meilleure chère.

Haaroun. — La chère est très suffisante, bon hôte.

Giaffar. — Oui, très suffisante. (Pendant cette scène, le tonnerre se fait encore entendre, puis s’éloigne peu à peu.)

Fatma. — Si vous étiez venus chez mon maître, jadis, il vous aurait mieux reçus. On l’appelait alors le magnifique Hassan. Il était riche et faisait, je vous en réponds, bon usage de ses richesses.

Hassan. — Quand Allah nous en prête, c’est pour que nous les dispensions à ceux qui n’en ont pas. Le riche doit être le trésorier du pauvre.

Haaroun. — Tu parles bien, Hassan. Il ne se peut, sage comme tu le parais, que tu te sois attiré ton malheur par ta faute ?

Hassan. — La sagesse est parfois un fruit de la folie, mûri au soleil de l’expérience. J’étais jeune, épris du luxe et des plaisirs. J’ai acheté des pierreries, de la vaisselle d’or. Je me suis entouré de musiciens et de danseurs. J’ai fait bâtir des palais, j’ai tracé des jardins, j’ai dépensé en fêtes, j’ai…

Fatma. — Tu as encore plus donné aux indigents.

Hassan. — Que ne leur ai-je tout donné ! je m’en applaudirais, tandis que je regrette mes dépenses frivoles.

Haaroun. — Tu as donc été l’artisan de ta ruine ?

Hassan. — En grande partie, oui.

Fatma, vivement. — Ne l’écoutez pas. Il aurait pu dépenser bien plus encore sans s’appauvrir, il était si riche ! Mais le feu, allumé par une main criminelle, a consumé son palais ; ses caravanes ont été pillées par les brigands du désert ; ses navires ont fait naufrage ; et alors ses amis l’ont quitté, oui, tous ! ses amis, qu’il invitait à ses festins, qu’il accablait de présents !

Hassan. — C’est toujours ainsi. Lorsque les murs sont détruits, il faut bien que les hirondelles aillent autre part suspendre leurs nids. Et toi, du moins, tu m’es restée. (À ses hôtes.) Oui, seigneurs, ma bonne Fatma, qui déjà avait servi ma mère, a refusé sa liberté, que je voulais lui rendre. Elle s’est attachée à ma mauvaise fortune.

Fatma. — Puisque j’avais été à la bonne. Mais croiriez-vous, seigneurs, qu’il a vu sa ruine sans une plainte ?

Hassan. — Les plaintes sont affaire de femme et d’enfant ; l’homme doit savoir porter l’infortune en silence. Et d’ailleurs, quand Allah envoie l’épreuve, il donne en même temps la patience.

Fatma. — Et il s’est mis à travailler, lui Hassan ! le magnifique Hassan ! Il avait acheté cette cabane, un bateau de pêcheur. Abou Taleb lui avait accordé un peu de temps pour le paiement. J’allais vendre son poisson à la ville. Nous avions économisé la somme qu’il fallait. Elle était là, dans ce coffre. Un misérable que mon maître a reçu hier — il reçoit toujours tout le monde — l’a volée. Et maintenant le créancier va reprendre la maison et le bateau ; oui, cet Abou Taleb, à qui cent fois le riche Hassan avait rendu service, il nous chasse sans pitié.

Haaroun. — Il faut faire rechercher le voleur, Hassan. Adresse-toi à la justice du calife.

Hassan. — Je préfère m’adresser à la justice d’Allah. Si puissant que soit notre prince, ce voleur pourrait lui échapper, tandis que n’importe en quel lieu il se cache, la main d’Allah saura l’atteindre.

Fatma. — Mais quand ? Allah n’est pas toujours pressé de châtier, tandis que notre bon