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peinture, je le crois. Ils ont un relief épatant ! ça vit ! c’est modelé !… les mains… »

Soudain, il s’interrompit. Ses yeux bleus avaient rencontré les nœuds de crêpe.

Il vint se rasseoir sans achever sa phrase, ayant le sentiment d’avoir commis « une gaffe », ainsi qu’il se le disait à lui-même.

Grand’mère, qui l’avait écouté parler des portraits, paraissait en effet plus triste que tout à l’heure.

Elle répondit aux réflexions du jeune rapin par ces mots :

« Ils sont surtout ressemblants. »

Une larme perlait au bord de sa paupière. René la vit. Avec sa spontanéité coutumière, il sauta au cou de la vieille dame, et, tout en l’embrassant, lui murmura à l’oreille :

« Je suis un étourdi ; pardon, madame.

— Un bon petit cœur, voilà ce que vous êtes », répondit-elle en lui souriant d’un air affectueux.

Puis, pour renouer plus gaiement l’entretien :

« Clairette, il doit y avoir encore de vieux jouets dans l’armoire du grenier. Si tu allais les chercher. Qu’en dis-tu, chérie ? Ces enfants me font l’effet de s’ennuyer.

— Ils me font plutôt l’effet de se battre… Mais tu as raison, tandis qu’ils achèveront de démolir nos polichinelles d’antan, ils ne songeront pas à s’administrer des taloches. »

Avisant la boite de dominos, René l’ouvrit.

Durant que Claire montait au grenier, il appela les deux petits et leur apprit à construire des bastions.

« Ils ont en vous un bon camarade, observa grand’mère. Pauvres enfants ! ils en ont bien besoin ! fit René, c’est parce qu’ils n’ont point de maman qu’ils sont si terribles ; voilà ce que je crois. Leur nourrice les a beaucoup gâtés. Je l’ai vue faire, à Paris… Moi non plus, je n’ai point de mère. Mais j’ai « ma sœur Thérèse », c’est tout pareil. »

Grand’mère était tentée de poser des questions, non sur la famille de René, mais sur celle des deux jumeaux.

Elle ne l’osa point, et garda à ce sujet toutes ses incertitudes.

Claire redescendit, les bras chargés de fusils, de polichinelles, de poupées : tout un bazar ! les jouets de deux générations.

Les dominos furent abandonnés. Les enfants passèrent en revue les trésors qu’on leur livrait ; si heureux, qu’ils ne songeaient plus à se chamailler.

Lorsque vint l’heure de regagner le château, ils refusèrent de s’en aller ; Claire dut les emmener presque de force.

Ils annoncèrent :

« Nous reviendrons demain.

— Pas demain, je ne serai pas à la maison, fit-elle.

— Vous non plus, madame ? s’informa René, se tournant vers Mme Andelot.

— Oh ! moi, je ne sors plus.

— Et vous voulez bien de nous ?

— Si je veux de vous ! Ah ! certes ! » s’écria grand’mère avec élan.

Dès qu’elle se retrouva seule dans la grande pièce devenue soudain silencieuse, Mme Andelot ferma les yeux et appuya sa tête pensive contre le dossier de son fauteuil : elle s’interrogeait…

Y avait-il de sa faute ! Avait-elle, si peu que ce fût, manqué à sa promesse ? Ses lèvres ne restaient-elles pas muettes ?…

Si pourtant la Providence intervenait ?… Si Dieu jugeait que le sacrifice avait assez duré ?… Si… si…

Elle était résignée, soumise à sa volonté… Mais repousser la part de bonheur que lui-même semblait mettre à portée de sa main ?… Qui donc eût osé lui demander cela ?

« Je n’ai qu’à laisser aller les choses, se dit-elle. Clairette ne soupçonne guère la portée de ce qu’elle fait… Je me demande si elle a parlé à son père de ses nouveaux amis ? Il