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fin se succédaient les hauteurs et les ravins, les escalades et les descentes : route désespérante et la plus triste que l’on pût trouver, sans autre horizon que les pierres et le rocher.

Soudainement, après une dernière hauteur gravie, jaillissait pour ainsi dire devant nos yeux un spectacle merveilleux et tel que je n’en eusse jamais imaginé de pareil.

Brézina, la séduisante oasis, était là, couchée à nos pieds, blottie, comme pour se garer des vents de sable, contre une forêt de palmiers aux troncs élancés, au feuillage d’un vert légèrement bleuté, égayé par en dessous de l’or clair des régimes de dattes retombant en grappes.

Les maisons, en briques d’argile rousse, la construction européenne du grand Si Hamza, qui les domine, la mosquée au minaret blanc, les quelques ruines éparses, tout enfin se revêtait, sous la caresse du soleil couchant, d’un coloris chaud, harmonieux et doré.

Au delà, c’était le désert, l’infini nu et plat. Au loin, cependant, deux «   gour  » [1] s’y découpaient sur l’horizon, séparés par une large baie : telles deux forteresses jumelles, gardiennes de l’oasis, orgueilleusement dressées sur leurs bases carrées.

Ainsi se trouvaient rassemblées dans un même tableau la plaine désertique, avec les accidents tout particuliers de son sol, et l’oasis, qui en est comme la splendeur et le joyau.

De ma vie je n’oublierai Brézina, ses gour et ses palmiers.

Nous arrachant enfin à cette vision unique, nous nous sommes dirigés vers le village.

Si Ahmed, fils aîné du bachagha Si ed Dine, nous attendait devant la porte principale. Tandis qu’il déchiffrait une lettre que m’avait remise pour lui son frère Mohammed, une de mes connaissances de Géryville, je le dévisageais : guère de ressemblance avec son frère ; une expression peu intelligente, non dénuée de ruse pourtant.

Il nous a reçus fort généreusement : ces seigneurs arabes ont conservé intactes les grandes et simples traditions hospitalières de la vie patriarcale.

À l’intérieur du ksar, nous avons retrouvé la déception habituelle, beaucoup moins forte cependant, car les rues et les maisons présentaient une relative apparence de propreté.

Bien qu’un peu fatigué par les quatre-vingts kilomètres parcourus, j’avais hâte de voir des palmiers. J’entraînai donc M. Naimon du côté des jardins.

De partout s’élançaient les dattiers aux troncs écailleux, droits ou tors, terminés par les aigrettes de palmes épanouies au-dessus des régimes jaunes. Qu’ils ressemblaient peu à ce que j’avais vu jusque-là, depuis les plantes étiolées, ornement de notre salon, jusqu’aux palmiers en zinc de la « promenade des Anglais », à Nice. Il paraît qu’on ne se lasse jamais de les voir. Cela se comprend d’autant plus qu’ils ne poussent que dans le désert, où l’on traverse parfois d’immenses espaces avant de pouvoir trouver un seul arbre.

Le palmier est donc le symbole du repos, de la sécurité, en même temps qu’il indique la présence de l’eau, dont la privation ou la mauvaise qualité font tant souffrir.

Faut-il avouer une petite faiblesse personnelle ? Mon plaisir d’être dans une oasis, à l’entrée du désert, était doublé par la pensée que je pourrais sous peu « épater » mes amis par le récit de ce que j’aurais vu. De combien de coudées grandirais-je alors à leurs yeux !…

Que celui qui n’a jamais péché par vanité me jette la première pierre !

Déjà M. Naimon m’arrachait à ces petites préoccupations.

« Brézina, me disait-il, ne compte guère que de huit à dix mille palmiers… c’est une simple réduction d’oasis. Ses dattes hâtives sont excellentes ; les autres ne mûrissent pas entièrement, huit cent trente mètres étant

  1. Gour, au singulier gara.