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main, et de Kosen repartit au grand trot.

L’instituteur n’avait pas tort de craindre. Ils n’y étaient pas restés longtemps, à l’école, les petits voyageurs.

Ayant considéré avec attention, sur la carte, cette Russie qui, vue ainsi, ne leur paraissait pas loin du tout, ils avaient réclamé leur liberté avec de tels cris, que les deux jeunes garçons, chargés de les amuser un moment, n’avaient pas osé les retenir de force. L’un d’eux s’était borné à les suivre à distance.

Et maintenant ils trottinaient sur le chemin qui va rejoindre Ussel par Martiaux.

« Faut marcher vite, vite, pour être arrivés avant le « noir », répétait Lilou de temps à autre.

Le galop d’un cheval les fit soudain se retourner. Reconnaissant leur père dans le cavalier qui venait à eux, ils battirent des mains, enchantés.

Ils étaient un peu las… papa les prendrait sur son cheval… on y serait tout de suite, en Russie !

Hervé se vit accueilli par ces mots : « Tu vas viendre avec nous. »

Feignant d’ignorer le but de ce voyage, dont le motif lui échappait absolument, au lieu de répondre à la requête des petits, il s’informa :

« Où donc alliez-vous ainsi, polissons ?

— En Russie, chez le papa de tante Claire.

— Comment savez-vous qu’il habite la Russie, le papa de tante Claire ?

— C’est elle qui nous l’a dit.

— Est-ce elle, aussi, qui vous a conseillé ce voyage ? fit Hervé.

— Oh non ! Elle a dit qu’elle peut pas être une maman z’à nous sans la permission de son papa.

— Et, interrompit Pompon, en donnant une bourrade à Lilou pour l’obliger de se taire, ze lui ai dit qu’elle alle en Russie, elle a dit qu’elle y allerait pas, à cause c’est trop loin.

— Alors nous sont partis, conclut Lilou. Fais-nous monter sur ton cheval, tu veux, papa. »

Hervé les assit tant bien que mal sur le devant de la selle, ce qui les combla d’aise. Où les choses se gâtèrent, c’est quand ils le virent tourner la tête de sa monture du côté d’Arlempdes.

« Pourquoi que tu veux pas y viendre, en Russie ? gémissaient-ils de concert.

— Mes pauvres chéris, c’est une idée fixe, décidément », murmura-t-il, plutôt pour lui-même que pour eux.

Il réfléchit quelques minutes, puis, jugeant nécessaire de couper court à cette fantaisie :

« Écoutez avec attention ce que je vais vous expliquer, prononça-t-il, parlant lentement et pesant ses mots ; et surtout ne le répétez à personne.

— Rien qu’à tante Claire, nous le raconterons, déclara Lilou.

— À elle moins qu’à tout autre, insista le papa sévèrement.

— Pourquoi ?

— Parce que vous finiriez par si bien l’ennuyer qu’elle quitterait Arlempdes ; vous ne la verriez plus. »

Les deux bonshommes se mirent à crier comme si on les assassinait.

« Si vous ne vous taisez pas, je vous donne à votre tante Brigitte pour qu’elle vous emporte à Paris. »

Silence immédiat.

« À la bonne heure. Maintenant, écoutez-moi. Vous ne direz pas à Claire où vous alliez, et vous ne lui demanderez plus d’être votre maman. Vous voyez bien qu’elle ne veut pas de vous pour ses enfants ; et moi non plus, je ne veux pas d’elle pour vous, déclara-t-il d’un ton dur.

— Pourquoi ? fit Lilou, fixant sur son père ses yeux irrités.

— Parce qu’elle ne serait pas pour vous une bonne mère. Elle ne s’occuperait de vous qu’autant que vous l’amuseriez. Elle ne fait