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Page:Hetzel - Verne - Magasin d’Éducation et de Récréation, 1903, tomes 17 et 18.djvu/445

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ment par Si el Arbi, le fils aîné, sa venue sembla au contraire combler les vœux du malade.

Malheureusement, le cas était grave ; il fallait une médication énergique, immédiate et spéciale ; on ne put qu’envoyer un exprès au galop vers Géryville pour y chercher les médicaments nécessaires.

Un incident bizarre marqua le deuxième jour. Au matin, le docteur finissait un somme de quelques moments, lorsque Si el Arbi pénétra dans sa tente :

« Mon père, fit-il, te remercie d’être venu. Maintenant que tu l’as soulagé, il se sent beaucoup mieux et les remèdes que tu fais venir le guériront tout à fait. Il ne voudrait donc pas te retenir inutilement. »

Un peu surpris, le docteur se rendit auprès de Si Kaddour :

« Je viens te faire mes adieux.

— Tu pars ?… Pourquoi m’abandonnes-tu ?

— Ne m’as-tu pas fait dire que tu n’avais plus besoin de moi ?

— Moi ?.. Je te jure que non ! Reste, je t’en prie. »

Le médecin, bien entendu, ne s’éloigna pas ; mais son malade ayant expiré au milieu de la nuit suivante, il repartit de bonne heure le lendemain. Lorsqu’il arriva, vers quatre heures du soir, à El Abiod, on y connaissait déjà l’événement. Rien de plus surprenant que la rapidité avec laquelle se transmettent les nouvelles en pays arabe. Dès midi, donc, les femmes s’étaient toutes rendues à la koubba pour y pleurer le mort. Et, depuis ce moment, les hurlements, les chants funèbres où l’on célébrait les louanges de celui qui n’était plus, n’avaient cessé de retentir.

À cinq heures, la dépouille de Si Kaddour était apportée en palanquin. Si el Arbi et une vingtaine de cavaliers, au petit trot, l’escortaient. Il est d’usage d’enterrer les morts très hâtivement, sitôt les ablutions faites ; un cadavre est chose impure et sa présence souille la tente.

Tout de suite on expédia les funérailles.

Avec les gens de la smala, les Abid et les personnages marquants des villages d’El Abiod, Si el Arbi pénétra dans le tombeau de l’ancêtre. Durant que la cérémonie se faisait, les lamentations populaires extérieures ne cessaient de retentir, couvrant les prières ou les versets du Koran marmonnés.

L’enterrement achevé, Si el Arbi sortit de l’édifice et sauta sur son cheval. Précédé de musiciens et des hommes du peuple l’acclamant, suivi des femmes, il s’avança, entre l’étendard antique de Sidi-Cheikh, et celui que Si Kaddour avait coutume de faire emporter dans ses expéditions, vers la Koubba de Sid el Hadj bou Hafs, le fils et l’héritier direct du saint d’El Abiod.

Tandis qu’une salve de coups de fusil éclatait, il pénétrait dans la mosquée, puis, après un court instant, en ressortait accueilli par une seconde décharge générale. De nouveau, il se remettait en selle. Ainsi pélerinant, et acclamé par la foule, il se rendit aux sept koubbas, satellites de la grande, tombeaux d’un frère et de six des fils de Sidi-Cheikh.

Ce fut le cérémonial d’investiture de la baraca dont la mort de son père l’avait fait l’héritier.

Et, cette même nuit, il reprenait la route de Benoud, grandi de toute l’autorité paternelle.

J’ai fait l’éloge de Si Kaddour ; il me serait difficile de continuer par les louanges de Si el Arbi. Outre qu’il n’a rien fait jusqu’à présent pour les mériter, je le connais trop peu pour le juger. À vrai dire, sa physionomie médiocrement franche, pleine de dureté, m’inspire plutôt de l’antipathie. Plus sympathique me paraît la personnalité de son frère, Hamza, le caïd des Oulad Si el Hadj bou Hafs… Après cela il est possible que je me trompe… »

Sur ces mots nous sortons de la Koubba de Sidi-Cheikh. Le soleil était sur le point de dis-