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JULES VERNE

ment à manquer. Mais, sur les quelques gouttes de sa ration, Deselieux en attribua une part à ses rejetons qui, arrivés à bon port, reconstituèrent les plantations de l’île.

« N’est-ce pas ce que Jussieu a fait pour le cèdre que l’on admire au Jardin des Plantes de Paris ?… demanda Louis Clodion.

— Oui… et c’est beau… c’est très beau, déclara M. Patterson, et la France est une grande nation ! »

Cependant, en 1796, la Martinique tomba au pouvoir des Anglais, et elle ne fut définitivement restituée qu’au traité de 1816.

C’est alors que la colonie se trouva aux prises avec une situation que rendit très difficile la supériorité numérique des esclaves par rapporté leurs maîtres. La révolte éclata, provoquée surtout par les nègres marrons. Il fallut recourir à l’affranchissement, et trois mille esclaves furent libérés. Ces gens de couleur jouirent du complet exercice de leurs droits civils et politiques. Dès 1828, on comptait dix-neuf mille nègres libres à la Martinique, et beaucoup d’entre eux, travaillant pour leur propre compte, devinrent propriétaires d’une partie du sol.

Le lendemain, les touristes firent l’ascension du Mont Pelé, à travers les épaisses forêts qui tapissent ses flancs. Et si cette ascension ne laissa pas d’occasionner quelque fatigue, Tony Renault et ses camarades en furent récompensés. La vue s’étendait sur l’île entière, découpée comme une feuille d’arbre, qui semblait flotter à la surface de cette mer si bleue des Antilles. Vers le sud-est, un étroit isthme, mesurant à peine deux kilomètres entre les marécages riverains, réunit ces deux parties de la Martinique. La première projette sur l’Atlantique la presqu’île des Caravelles, entre le havre de la Trinité et la baie du Gabion. La seconde, très accidentée, se relève jusqu’à l’altitude de cinq cents mètres avec le Vauclin. Quant aux autres mornes du Robert, des François, de Constant, de la Plaine, ils accentuent pittoresquement le relief de l’île. Enfin, du côté du littoral, vers le sud-ouest, s’arrondit l’anse du Diamant, et, au sud-est, se dessine la pointe des Salines, qui forme comme le pédoncule de cette feuille flottante.

Et leurs regards furent si charmés que les jeunes voyageurs eurent d’abord l’admiration muette. M. Horatio Patterson lui-même ne retrouva pas dans sa mémoire un seul vers latin pour formuler son admiration.

« Qu’est-ce que je vous avais dit ?… Qu’est-ce que je vous avais dit ?… » répétait Tony Renault.

Du haut de ce Mont Pelé, on pouvait constater la fertilité de l’île, qui est en même temps l’une des terres les plus peuplées du globe, soit cent soixante-dix-huit habitants par kilomètre carré.

Si l’exploitation des cacaoyers et des bois de teinture a conservé son importance, la production du café s’est beaucoup amoindrie et va presque jusqu’à l’abandon. Quant aux champs de cannes à sucre, ils n’occupent pas moins de quarante mille hectares et, annuellement, produisent pour dix-huit à vingt millions de sucre, rhum et tafia.

Bref, l’importation se chiffre par vingt-deux millions de francs, l’exportation par vingt et un millions, et près de dix-neuf cents navires impriment au commerce de la Martinique un mouvement considérable.

Du reste, l’île est desservie par plusieurs chemins de fer industriels et agricoles qui mettent les ports en communication avec les usines centrales. En outre, elle possède un réseau de voies carrossables dont la longueur dépasse neuf cents kilomètres.

Le lendemain, 30 août, par un temps magnifique, sur une route bien entretenue, les touristes se rendirent à Fort-de-France. Un break contenait toute cette troupe de joyeux garçons, au teint fortement hâlé par les brises de l’Atlantique, et dont la gaieté était débordante.