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semaines nous allons avoir ! Je vais bien, tu n’as qu’à me regarder pour en être certaine. Le voyage du Puy ici ! c’est cela qui t’inquiète ? Il est très faisable à la condition d’être accompagné d’un guide, précaution que j’ai prise. »

Remarquant que Claire restait debout :

« Asseyez-vous, ma cousine ; j’ai tant de choses à vous dire de chacun, que ce sera long.

— Et le dîner ! vous oubliez que je cumule des emplois de toute catégorie, en ce moment. Nous causerons à table. Vous ferez maigre chère, je vous en avertis.

— J’ai prévu qu’il était peu aisé de s’approvisionner à Arlempdes en cette saison. Et deux bouches de plus…

— Deux ! interrompit Claire, la mine alarmée. Pourvu que le pain ne manque pas !

— Nous mangerons de la brioche, ainsi que certain petit prince le conseillait au peuple, repartit de Kosen… de la brioche, ou son équivalent. J’ai apporté une caisse de gâteaux secs ; plus un jambon d’York, plus des terrines de foie, des langues fumées, un tas de choses que Germain doit déballer en ce moment.

— Parfait ! Alors nous pourrons dîner dans dix minutes. Je vais donner un coup d’œil à la cuisine et je reviens.

— Elle paraît un peu changée, la petite cousine, observa Hervé lorsque la porte se fut refermée sur Claire.

— Comment l’entends-tu ?

— Au moral. Elle n’a plus sa mine d’oiseau qui ne pense qu’à s’envoler.

— Pauvre chérie ! Jamais je ne l’aurais crue capable de se résigner à la vie que nous menons. Je lui vois bien quelquefois les yeux rouges ; elle s’impatiente, rabroue Modeste, à certains jours ; mais ce n’est plus la Clairette des premiers mois. Mon enfant, rien ne m’a manqué depuis la mort de Sidonie : rien ! »

Hervé ne répliqua pas. Il s’occupait à relever une bûche qui avait roulé.

Claire rentra, portant sur son bras du linge blanc. Elle annonça :

« Il ne reste qu’à mettre le couvert. Si vous saviez comme votre petit-fils vous a gâtée, grand’mère ! Deux rayons pleins de victuailles, pâtisserie, etc. Plus une caisse de livres ; plus… »

Elle regarda Hervé :

« Plus… quelque chose… dois-je parler ? Non ?… Alors, dépêchez-vous, sans quoi je ne réponds pas de me taire. »

Il se leva :

« Vous n’avez pas tout vu. Mes fils vous envoient un souvenir à vous aussi, Clairette. La pensée de vous être agréables les a décidés à se tenir immobiles une demi-minute.

— Leurs portraits ! Vous m’apportez leurs portraits ! Montrez-les-moi vite ! »

Le baron alla chercher la superbe pelisse doublée de fourrure destinée à grand’mère, et la gerbe de fleurs en vieil argent d’où émergaient les deux têtes des bambins.

Claire ne vit tout d’abord que leurs amusantes frimousses.

« Pauvres bonshommes ! Ils ont posé en perfection. Pompon a son petit air câlin des moments où il demande si on va lui donner « qué de çoze ». Vous pouvez vous flatter d’avoir les bébés les plus divertissants qui soient.

— Divertissants… murmura-t-il, tout en aidant grand’mère à essayer sa pelisse, pas toujours ! Quand ils s’avisent, par exemple, de traduire à leur manière une chose qu’on leur a dite… »

Claire le considéra, étonnée. Était-ce une allusion qui la concernât ? Thérèse aurait-elle communiqué à Hervé, malgré sa défense, les passages de sa lettre ayant trait à l’indiscrétion des gamins ?

« Il l’eût mérité », pensa la jeune fille.

Tenant à s’éclairer sur ce point, elle repartit :

« Il est certain que Lilou et Pompon ignorent les finesses de la langue. Mais, en fin de compte, s’ils traduisent les choses dans le langage qui leur est personnel, il n’est pas