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et jusqu’à Garet Sidi Cheikh, par ses contingents.

Le général Deligny, qui le poursuivait, mis au courant de ces dispositions, et ne voulant pas attaquer de front une position très puissante, appuyée sur les derniers contreforts du Tismert, résolut de la tourner. Laissant néanmoins s’avancer sans hâte son infanterie et son convoi, dans la direction de Benoud, il emmena rapidement sa cavalerie, — goums et trois escadrons réguliers[1], — sur Garet Sidi Cheikh.

Les goums étaient commandés par l’agha des Harrar, ce même El Hadj Kaddour Sahraoui qui avait fait défection lors de l’affaire Beauprêtre, mais qui, depuis lors, était revenu à nous, poussé par une haine terrible contre Si Mohammed, devenu, pour des questions d’ordre purement domestique, son ennemi le plus acharné. Il n’y avait par conséquent qu’à lui lâcher la bride, à le lancer sur les insurgés. C’est ce qui eut lieu, sans qu’aucune troupe régulière prît part à l’action.

Ce fut un de ces combats comme on en devait voir sous les murs de Troie. Seule la Muse héroïque saurait inspirer le chantre d’une pareille lutte. Elle eut son Homère, je me garderai bien de faire autre chose que d’en copier le récit très romantique.

« Sid[2] El Hadj Kaddour fondit impétueusement sur les campements des insoumis, les traversa en les culbutant, comme une trombe de fer, et, guidé par la haine, il piqua droit sur la « daira »[3] du chef de l’insurrection. Sid ben El Hadj Kaddour, son fils et Sid bel Hadri, l’aîné des fils de Sid Ahmed Ould Kadis[4], l’agha de Frenda, suivent de près le chef des Harrar.

« Mais Sid Mohammed Ould Hamza leur épargne la moitié du chemin. Debout sur ses étriers, le burnous rejeté sur l’épaule droite, le fusil haut, il lance son cheval, — une noble bête, — qui se précipite par bonds au-devant de la nuée roulante des assaillants. On sent cette odeur de fer qui est particulière à la cavalerie arabe ; celle de la poudre monte bientôt à la tête des cavaliers et les enivre ; les crépitations de la fusillade se perdent dans ces espaces sans fin : les détonations sont sourdes, et pareilles à une toux de poitrinaire, et l’on ne se douterait point qu’on fait parler la poudre, n’étaient les nuages floconneux qui flottent dans l’air, poussés par la mêlée. Sid Mohammed Ould Hamza, disons-nous, avec la magnifique audace de ses vingt ans, avec la conscience de la force que lui donne, à lui, le chef de la maison de Sidi Cheikh, la puissance religieuse attachée, depuis plus de trois siècles, au nom de son illustre et saint ancêtre, avec la sombre colère qui lui fait monter du cœur à la tête ce qu’il appelle la trahison de Si El Hadj Kaddour Sahraouï, un marabout comme lui, qui n’a pas honte de se faire l’auxiliaire des chrétiens et d’inonder de ses cavaliers, vrais éperviers de carnage, une terre toute remplie du souvenir de « l’ouali »[5] le plus vénéré du Sahara occidental, le jeune et brillant marabout, bouillant de rage, et impatient de châtier le crime de son ennemi, a pris la tête de la charge, et, suivi des Oulad Sidi Cheikh, ses fidèles cavaliers, il fond impétueusement sur les assaillants, dont il abat plusieurs de son fusil.

« Mais c’est à lui personnellement qu’en a le marabout des Harrar ; il a soif de son sang ; son fils ben El Hadj Kaddour et le jeune Bel Hadhri, l’aîné de l’agha marabout de Frenda, sont à ses côtés et veulent, comme lui, la vie de Sid Mohammed Ould Hamza ; ils l’entourent et l’assaillent à la fois. Le jeune marabout

  1. Les trois escadrons de cavalerie sous les ordres du commandant de Galliffet.
  2. Sid, seigneur ; Sidi, mon seigneur. Par abréviation Si, bien que Si soit une particule commune à tous les taleb.
  3. Daira, la garde.
  4. L’agha de Fronda. Sid Ahmed Ould kadi est celui qui, le matin même de l’affaire d’Ain Bou Beker, suppliait le colonel Beauprêtre de considérer Sahraouï comme son pire ennemi.
  5. Ouali, saint.