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maintenant comme une île rocheuse se terminant en un sommet conique. Les rameurs sont infatigables ; ils peinent jusqu’à ce que la sueur coule en grosses gouttes sur leur front, en dépit de la température glaciale ; ils avancent, lentement mais sûrement, et la joie de tous est profonde, à voir le Silure suivre docilement le radeau au lieu d’errer à l’aventure sur les vagues.

L’après-midi touche à sa fin lorsqu’on parvient à atteindre la terre. Une crique sablonneuse s’ouvre devant les naufragés.

Un effort suprême ; et soudain une secousse qui les renverse les uns sur les autres, au milieu des rires et des cris de triomphe. La quille du Silure a grincé sur le sable ; l’épave s’est échouée au havre de grâce.

Hourrah ! trois fois hourrah !


IX

L’Île désolée.


Une grève de galets s’étendait devant le radeau ; à cent mètres en arrière de la frange d’écume laissée par le flot glacé, une haute falaise barrait l’accès de l’île. L’aspect de ces roches, du ciel gris, de la nature entière était sombre et menaçant. Aucune touffe d’arbustes, nul brin d’herbe ou de mousse ne venait égayer le granit de la muraille qui semblait repousser les intrus. Et pourtant, si rébarbatif que parût l’asile enfin conquis, il n’y eut pas un des naufragés qui ne mît pied à terre dans une sorte d’ivresse joyeuse.

Au sortir de cette terrible semaine, de ces jours et de ces nuits interminables où ils étaient le jouet des vents et des flots, n’ayant entre eux et l’abîme qu’une coque de fer branlante et désemparée, le plus triste séjour s’offrait à leur organisme harassé comme un véritable Éden. Ils se sentaient tout autres, rien qu’à fouler le sol immobile au lieu des tôles incertaines du Silure.

Le débarquement s’effectua au milieu des cris de joie. Puis, le silence se fit et chacun contempla tour à tour la mer avide, dont les lames paraissaient encore courir après la proie qui leur échappait, et la muraille inhospitalière qui se dressait devant les terres. Au pied de la roche s’ébattaient lourdement des pingouins agitant leurs moignons d’ailes. Ils ne témoignaient aucun effroi à la vue des naufragés, ce qui semblait attester que les êtres humains leur étaient inconnus.

Assis sur la berge, les hommes de l’équipage attendaient les ordres de leur chef, dans une attitude de parfaite discipline, quand le lieutenant Wilson s’aperçut que les vagues, déferlant sur les galets avec un bruit lugubre, se rapprochaient de manière inquiétante :

« Attention ! s’écria-t-il en sortant de sa rêverie. Ne nous laissons pas gagner par la marée au pied de ces falaises.

— Le fait est que ce serait un fâcheux épilogue à nos mésaventures ; mais où nous mettre à l’abri ? répliqua le commandant Marston en mesurant de l’œil la roche lisse qui se dressait derrière eux.

— Il semble impossible que la falaise se continue sur tout le pourtour des terres sans présenter une solution de continuité, suggéra Henri. Cherchons-la.

— Et cherchons-la sans tarder, reprit vivement Gérard, car cette gueuse de mer a tout l’air de vouloir nous gagner de vitesse. »

Il jetait les yeux autour de lui.

« Ne dirait-on pas, là-bas, une anfractuosité et comme l’entrée d’une grotte ? » reprit-il en indiquant à sa gauche une tache sombre sur le ton mat de la muraille.

Et, tout de suite, il courut vers le point qu’il désignait. On le vit disparaître, puis revenir et faire signe de la main que sa supposition était fondée.

Chacun s’empressa de le rejoindre au seuil d’une caverne surélevée de quelques mètres