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au-dessus de la marge de sable qui bordait les galets de la grève.

« C’est une grande cave qui pourra nous offrir un asile convenable, annonça Gérard, car j’imagine, d’après l’aspect du sol et des parois, que la marée ne doit pas la couvrir habituellement. De plus, j’ai trouvé dans le fond une sorte de couloir qui conduit à une seconde caverne plus retirée et plus sûre. En tout cas, il me semble que nous ferions sagement d’y tirer tout d’abord le Silure.

— En effet, les vagues auraient bientôt fait de le mettre en pièces, dit le commandant. À l’œuvre, mes enfants ! »

Revenant sur leurs pas, les hommes s’attelèrent à l’amarre qui avait servi à remorquer le petit navire ; moitié soulevé par la marée, moitié traîné sur les galets avec un bruit de ferraille, le sous-marin eut bientôt franchi la grève découverte pour venir boucher l’entrée de la grotte et se trouver définitivement à l’abri des insultes de l’Océan.

« Voilà bien le corridor, fit Gérard en désignant une sorte de boyau étroit et sinueux qui s’enfonçait sous la voûte de granit.

— Sois prudent ! c’est peut-être le repaire de quelque animal dangereux ! s’écria Henri en le retenant.

— Bah !… il faut voir !… Et puis je vais m’armer d’un revolver, avec la permission du commandant, et si je rencontre quelque individu mal intentionné, à quatre ou à deux pattes, je le lui fais partir sous le nez !… Nous verrons ce qu’il pensera de l’argument !

— N’oubliez pas des allumettes, dit le commandant en lui passant un revolver chargé, il ne doit pas faire très clair là dedans. »

S’assurant qu’il en avait sur lui, Gérard prit le revolver et s’enfonça dans l’étroit couloir. C’était une galerie naturelle dont le sol rocailleux montait en pente douce, et dans laquelle le jeune homme avançait sans trop de difficultés, en tâtonnant autour de lui ; les parois en étaient si étroites qu’il les heurta plusieurs fois assez rudement du front ; mais, tout à coup, il sentit l’espace s’élargir autour de lui. Faisant prendre une allumette, il entrevit une caverne de dimensions colossales, dont la voûte majestueuse se perdait dans l’ombre à une grande hauteur. L’air était tiède, parfaitement respirable, grâce peut-être à quelque fissure ou cheminée dans le roc. Gérard ne put retenir une exclamation de joie :

« Bravo !… voici l’abri rêvé pour nos précieuses personnes et nos provisions plus précieuses encore !… La mer ne viendra certainement pas nous relancer jusqu’ici, et que nous soyons destinés à repartir sur le Silure, après l’avoir réparé, ou à être repêchés par quelque navire de passage, nous voici prêts à attendre les événements… Ma foi, c’est un home des plus sortables, reprit-il en faisant brûler une seconde allumette. Assurément ce n’est pas le Louvre !… mais à la guerre comme à la guerre… Et, s’il faut vivre en troglodytes, réjouissons-nous d’être tombés sur une tanière de dimensions pareilles ! Un régiment y serait à l’aise ! »

Reprenant le couloir, Gérard se hâta de venir communiquer le résultat de son enquête à ses compagnons.

Laissant l’équipage surveiller le progrès de la marée montante et s’occuper des apprêts d’un repas dont le besoin s’imposait pour tous, les officiers du Silure, M. Wéber et Henri suivirent Gérard dans la caverne, dont les dimensions et la température furent vivement appréciées. Gérard avait allumé une lanterne et il étudiait de près les murs scintillant de mica, afin de s’assurer qu’ils ne recelaient dans leurs anfractuosités aucun commensal désagréable ; tout à coup il se récria :

« L’île est habitée !… et par des artistes, par-dessus le marché !… »

On accourt ; du doigt, Gérard désigne, profondément gravés dans le roc, des dessins d’un caractère rude et archaïque, offrant l’image très reconnaissable d’animaux, d’êtres