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Bien des années avant sa mort, sa famille s’étant augmentée de plusieurs petits-enfants, grand-père Andelot avait transformé une partie du grenier en chambres à coucher ; car la maison, accroupie sous son toit à auvent, carrée, trapue, ainsi qu’il convient à une brave demeure montagnarde, eût perdu sa qualité maîtresse, la force de résistance en face de l’ouragan, si on l’eût dotée d’un étage.

C’est au grenier qu’était située la chambre de Claire. Elle occupait l’un des angles, celui qui faisait corps avec la ligne de rochers où s’appuyait l’habitation, et donnait sur le jardin, vaste enclos, dont la plus grande partie était consacrée aux cultures potagères.

Toutefois on avait respecté les massifs du fond et conservé l’ombrage de toute une rangée de sapins plantés le long des rochers jusqu’au petit bois.

La ligne de sapins se reproduisait parallèle dans le parc, élevant ainsi une barrière triple entre le domaine du châtelain et celui de l’ancien régisseur.

Les deux habitations étaient situées sur les hauteurs boisées qui viennent mourir au confluent de la Loire et de la Méjeanne.

Mais tandis que le château se dressait à la pointe, protégé des bourrasques seulement par les pins qui l’entouraient de trois côtés, la maison Andelot se voyait abritée par la disposition naturelle du terrain qui s’élevait à sa gauche en un brusque ressaut.

Peu aisées, les communications avec Arlempdes.

Du temps que vivait le vieux baron de Kosen, un chemin en lacets, bien entretenu, les assurait ; mais, depuis l’abandon complet où le propriétaire actuel laissait son château de Vielprat, le chemin raviné était devenu difficile, même à Friquet, le petit cheval de grand’mère, bien qu’il eût le pied sûr, et que son intrépidité ne reculât pas devant grand’chose.

La mère de Clairette s’inquiétait fort de l’état des chemins, et, à travers les perpétuelles allées et venues de la jeune fille, essayait de glisser quelques conseils pleins de prudence, à l’endroit des sorties en voiture. L’étourdie riait, plaisantait sa mère de ses terreurs, et ne promettait guère d’être sage…

En bas, grand’mère Andelot et son fils causaient : ils avaient tant de choses à se dire et si peu de temps à passer ensemble !

Pour être plus tranquilles, ils s’étaient installés, seuls tous les deux, dans la salle où grand’mère se tenait d’habitude : une très vaste pièce, moitié salle à manger, moitié salon, et dont le mobilier s’inspirait de ces deux emplois.

Au milieu, une table carrée en chêne ciré, le long des murs, des chaises alignées en bel ordre ; au fond, le dressoir, avec ses brocs ventrus et ses faïences aux dessins naïfs ; mais, autour de la cheminée, quelques bons fauteuils, la petite table où l’on posait la lampe, le soir, une jardinière où fleurissaient en tout temps des œillets. Entre les deux fenêtres, un secrétaire Empire : en face, un vieux piano. Et enfin, à droite et à gauche de la cheminée, deux portraits à l’huile, celui d’un enfant de douze ans et celui d’un homme de soixante ; tous les deux portant à l’angle du cadre un large nœud de crêpe.

Tandis que son regard errait, un peu distrait, de l’une à l’autre de ces choses familières, Victor Andelot parlait de sa fille.

Ses habitudes, ses goûts, son caractère étaient l’objet de ses minutieuses recommandations. Il se préoccupait des plus petits détails : à présent, c’était l’emploi de ses journées, dont ils discutaient, grand’mère et lui.

Se sentant vieillir, et ne pouvant se résoudre à quitter ses montagnes, l’aïeule, afin de rassurer ses enfants qui s’inquiétaient à la voir vivre seule, avait appelé auprès d’elle deux vieilles cousines peu fortunées.

Sidonie ne possédait d’autre talent que