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celui d’exceller à servir les autres, mais sa sœur, Mme Rogatienne Lortet, veuve d’un professeur de piano, était elle-même bonne musicienne.

M. Andelot, qui le savait, exprimait à sa mère le désir que Rogatienne donnât des leçons à Claire, fit tout au moins avec elle un peu de musique à quatre mains. Mme Lortet saurait-elle s’y prendre ? Son caractère irascible permettait d’en douter.

« Elle est si souvent malade ! c’est une excuse, cela, mon enfant. Non, je ne crois pas qu’elle se plie aux caprices de notre Clairette… Enfin, je ferai de mon mieux pour qu’elles s’entendent. Ah ! si c’était Petiôto ! La bonne âme se mettrait au feu pour faire plaisir, elle ! »

Songeant au milieu où Claire allait vivre :

« Combien comptez-vous de siècles, entre maîtres et serviteurs ? demanda soudain l’ingénieur en riant.

— Ça a baissé. J’ai toujours mon vieux grognon de Théofrède, qui va sur ses soixante ans, c’est vrai. Mais, tu n’es pas entré à la cuisine ; tu aurais vu une jeunesse devant le fourneau. Monique ne pouvait plus aller. Elle a pris sa retraite chez ses enfants et m’a donné sa petite-fille, Modeste, une bonne créature, bien honnête, qui endurerait la faim plutôt que de faire du tort à ses maîtres, et qui aime à rire : elle a dix-huit ans. Viennent les soirées d’hiver, elle enseignera à Claire à faire la dentelle ; ce sera un prétexte à jacasser un peu ensemble pour ces deux petites : ça reposera ta fille de nos rides. Aime-t-elle à s’occuper ? s’informa l’aïeule.

— Oui. Elle n’est pas paresseuse. Seulement elle ne supporte pas qu’on lui impose une tâche. Le mieux est de la laisser travailler à ses heures et à ce qui lui plaît. Elle n’est jamais longtemps en place ; il lui faut du mouvement… Je n’ai pas voulu paraître inquiet devant Émilienne, mais je tremble que l’hiver ne soit dur à passer pour Clairette, et, par conséquent, pour toi, ma pauvre maman. Vous êtes si isolées ! »

Il s’interrompit, et, regardant sa mère, l’air soucieux :

« Ceci me rappelle que j’ai vu ce matin, depuis la route, le château de Vielprat ouvert, des ouvriers sur le toit. Est-ce que la propriété serait enfin vendue ? »

Un léger tremblement agita les mains de grand’mère. Elle répondit, l’air attristé :

« Non.

— Alors ?

— On répare.

— Ils reviendraient ?

— On le dit… »

Un long silence suivit ces quelques paroles échangées. Chacun à part soi envisageait, l’événement dont il venait d’être question, en pesait les conséquences.

« Je ne vois que des inconvénients pour nous à ce retour », prononça enfin Victor.

Mme Andelot ne répondit pas.

Les coins de sa bouche s’étaient abaissés en une expression douloureuse…

Son fils eut un geste consterné.

« Encore de la peine pour toi, ma pauvre maman », murmura-t-il.

Elle lui jeta un regard résigné, et sa tête se courba un peu plus.

« En tout cas, reprit l’ingénieur, il est bien entendu que ma fille restera en dehors de tout, n’est-ce pas, mère ? Nous l’avons tenue dans une complète ignorance de ce qui regarde les Kosen. Elle ne sait rien… rien… Je ne veux pas que cette enfant souffre, si peu que ce soit, à ce propos. »

Sa voix était devenue tranchante. Il reprit d’un ton presque impérieux :

« Promets-moi que tu suivras la même ligne de conduite. Que savent les cousines ?

— Rien. Nous ne nous connaissons que depuis une quinzaine d’années ; leurs parents avaient quitté le pays, par nécessité pour le père d’obtenir de l’avancement : il était dans