Page:Hetzel - Verne - Magasin d’Éducation et de Récréation, 1903, tomes 17 et 18.djvu/612

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qui servait de voûte à leur habitation, les deux frères, pénétrant dans une sorte de hangar naturel, où le maître coq avait établi son matériel, trouvèrent ce personnage en grande discussion avec le digne savant, au sujet de l’établissement d’une marmite à haute pression, au moyen de laquelle on devait distiller en quelque sorte l’huile de pingouin, pour avoir raison de la chair coriace du seul gibier que l’île offrît aux chasseurs. Personne n’avait encore fait bonne mine à ce plat, et l’amour-propre du cuisinier était ulcéré de ses échecs répétés.

Renvoyant à plus tard la suite de cette importante conférence, Henri et Gérard prièrent leur vieil ami de vouloir bien leur donner sur l’heure le secours de ses lumières et, ayant pris avec lui le chemin de la hauteur, ils lui apprirent la trouvaille. Grande fut la surexcitation scientifique soulevée dans l’âme du naturaliste par la rencontre de ce rare vestige des âges disparus ; extrêmement faible, en comparaison, la joie qu’il en put éprouver au point de vue tout personnel de la libération. Car, pour lui, les dangers, les difficultés, les désastres qui avaient accompagné leur périlleuse entreprise, étaient demeurés à peu près inaperçus. Insensible aux privations, insoucieux du lendemain, presque inconscient du lieu et de l’heure où il se trouvait, il allait, poursuivant paisiblement son rêve, échafaudant des chiffres en son cerveau puissant ou, selon le tour de son bienfaisant génie, pliant ses mains habiles à toutes les menues inventions réclamées par son entourage ; aussi satisfait, aussi heureux sur ce roc désolé qu’il eût pu l’être au sein du luxe le plus raffiné.

« Voilà une belle découverte, mon cher Gérard ! une trouvaille unique ! fit-il plein d’admiration, lorsque, après avoir grimpé laborieusement jusqu’au faite du pic, les trois hommes s’arrêtèrent devant le majestueux squelette. Il faut te mettre, sans tarder, à écrire une note pour les Comptes rendus de l’Académie des sciences. C’est à toi qu’en revient le privilège. — Puis, tu offriras l’oiseau au Muséum, qui ne possède encore qu’un crâne d’épiornis. On ne pourrait sans injustice, n’est-ce pas, soustraire au public une pièce si belle ?

— D’ailleurs, elle serait peut-être un peu encombrante pour une collection privée, suggéra Gérard en riant. Mais j’avoue que le principal mérite que je lui reconnais est de pouvoir servir à nous tirer de ce trou du diable…

— Le fait est que la manière dont cette carcasse vient répondre à notre nécessité présente tient du prodige, dit le savant, relevant ses lunettes sur son front pour prendre une vue d’ensemble du futur aviateur. Le premier, le mien, ressemblait certainement à celui-ci ; mais combien plus parfaite est l’œuvre de la bonne nature, que le travail de nos misérables mains ! Combien était gauche le dessin de notre Épiornis comparé aux lignes magistrales que nous avons devant nous ! Regardez-moi ce crâne fait tout exprès pour recevoir le moteur d’Henri, l’intelligence directrice de notre œuvre commune ! Voyez ce sternum indestructible, bâti pour affronter la tempête et fendre victorieusement la nue ; cette aile puissante capable de franchir l’immensité des mers sans avoir besoin de repos !… C’est merveilleux ! merveilleux ! On dirait vraiment que le hasard s’est donné la peine de construire tout exprès à notre usage le modèle achevé du véhicule qui nous était nécessaire pour sortir d’ici.

— Il eût été encore plus ingénieux de la part du seigneur Hasard de ne point nous placer dans un tel pétrin, ce me semble, dit Gérard.

— Bah ! Tout est bien qui finit bien, s’écria Henri. Procédons à l’ouvrage sans tarder ! Notre premier soin doit être de hisser en ce lieu les matériaux nécessaires, — car,