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vous voyaient partir ensemble, ils seraient persuadés que vous nous abandonnez à notre malheureux sort… Qui sait même s’ils ne s’opposeraient pas à votre départ… Rappelez-vous que la folie semble les guetter, et qu’une discipline de fer peut seule les tenir en respect…

— Si je comprends bien votre pensée, commandant, c’est comme otage que vous garderiez mon frère ?

— Je crains que cela ne soit nécessaire…

— Cependant il me faut au moins un compagnon. C’est le minimum. Rappelez-vous que j’en avais pris trois à Paris, M. Wéber, mon frère et Le Guen.

— Impossible de les laisser partir tous, répliqua le commandant. Il faudra choisir entre eux ; et je répète que je préfère — à tous les points de vue — que votre frère nous reste.

— C’est une condition ?

— Une condition absolue ; la seule qui puisse me permettre de mettre à votre disposition les ressources du Silure pour la réparation de votre machine.

— Fort bien, dit Henry, après un moment de réflexion. Je m’incline, commandant ; bien que, pardonnez-moi de vous le dire, des Français n’aient pas besoin de laisser des otages derrière eux pour que leur bonne foi soit hors de cause…

— Personne n’a douté de votre bonne foi ! protesta le commandant. Mais le devoir m’oblige à procéder comme je vous l’ai dit.

— Rappelez-vous cependant que le salut de tous dépend de la réussite de mon voyage. Si, par insuffisance de personnel, le succès de l’expédition allait être compromis ?…

— S’il vous faut un certain nombre d’hommes, disposez de tout l’équipage. Vous pouvez prendre M. Wilson ou le mécanicien lui-même, si vous le désirez.

— À mon tour, commandant, de poser mes conditions : permettez-moi de vous faire observer que, mon invention étant encore secrète, je n’admettrai à mon bord qu’un Français !

— Alors il faut choisir entre M. Wéber et Le Guen.

— Soit ! répliqua brièvement Henry. Et maintenant à l’œuvre ! nous n’avons pas une minute à perdre. »


XIV

Le chantier de l’évasion.


On se mit immédiatement à la recherche de M. Wéber afin de lui communiquer l’étonnante nouvelle et de faire appel à ses talents. Car, pour remettre sur pied un autre aviateur, les connaissances spéciales et l’habileté de main incomparable de l’inventeur étaient aussi nécessaires que le moteur même créé par Henri Massey.

« Où peut-il être ? » disait le jeune ingénieur descendant la pente abrupte qui les avait menés à la retraite aérienne de l’Épiornis fossile.

« Nous n’avons pas de temps à perdre, et je voudrais bien qu’il prît dès ce soir les mesures nécessaires pour commencer ses travaux…

— Où il est ? fit Gérard. Tu le demandes ? En train d’agencer, de fabriquer, d’inventer quelque meuble, ustensile ou machine pour le bien général. Depuis que le commandant Marston a entrevu de quoi il est capable, il ne lui laisse plus de paix… Et vraiment la batterie de cuisine qu’il nous a installée est une petite merveille. Gageons qu’il est en train de manigancer quelque fourneau ou rôtissoire de sa façon ! »

Il en était tout justement comme Gérard l’avait deviné et, ayant contourné le rocher