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pauvreté. Les meubles étaient en vieux chêne ; partout régnait un air de confortable. Dans l’âtre, pétillait un bon feu sur lequel reposait une marmite, d’où s’échappait une odeur appétissante.

Avant tout observé et admiré, Jock courut à la hâte rejoindre M. Grimshaw. En approchant, il entendit distinctement ces mots prononcés à mi-voix par son oncle :

« Rappelez-vous, sur toute chose, de ne pas lui dire, avant que je revienne, que vous avez trouvé l’eau !… Tiens, te voilà ! ajouta-t-il en se tournant vers son neveu. Es-tu prêt à partir ? Attends un peu, il faut que je parle à Bagshaw. »

Le fermier arrivait et dit en s’avançant :

« Je pense que je peux me servir du puits maintenant que vous l’avez vu.

— Non, répondit M. Grimshaw, vous serez obligé de vous passer d’eau pendant quelque temps encore. Le puits ne me satisfait pas ; je ne veux pas qu’on s’en serve. J’ai donné l’ordre de creuser en divers endroits ; la semaine prochaine je viendrai constater le résultat. J’amènerai avec moi un ami très entendu, il nous indiquera en quels points faire de nouveaux sondages. »

Jock surpris regarda son oncle, et le visage de Bagshaw trahit la colère.

« Inutile de continuer ici ces stupides travaux, s’écria-t-il insolemment ; je ne veux pas que mes champs soient ainsi piochés et abîmés. Laissez-moi me servir de ce puits immédiatement, il y a beaucoup d’eau, je le sais ; vous et vos hommes avez quelque raison pour ne pas l’avouer. »

Le vieux monsieur se retourna d’un air si courroucé en proférant de telles menaces qu’en un instant le fermier s’apaisa et se tut. Quand M. Grimshaw s’arrêta, ce fut plus par besoin de respirer que pour toute autre raison. Et tournant le dos à Bagshaw, qui demeura les sourcils froncés et les lèvres closes, il se dirigea vers la voiture. L’enfant, à demi effrayé, marchait à quelque distance de son oncle ; remarquant à la fin l’allure chancelante du vieillard, il lui dit en s’approchant :

« Voulez-vous vous appuyer sur moi ? vous avez l’air fatigué.

— Oui, je le suis, mon enfant, et ce n’est pas étonnant à mon âge. Tiens, suis mon conseil : tant que tu seras jeune, évite de te mettre en colère ; il te sera plus facile de te dominer quand tu seras vieux. »

Ils regagnèrent la route sans parler. M. Grimshaw s’appuyait lourdement sur l’épaule du petit garçon. Ils prirent place dans la voiture. Pendant le trajet, les pensées de Jock se reportaient à la scène dont il venait d’être le témoin.

« Je croyais que vous n’invitiez jamais personne ? dit-il tout à coup, suivant le libre cours de ses pensées, et sans réfléchir que cette remarque révélait une curiosité indiscrète.

— Je ne le fais pas non plus. Qu’est-ce qui te porte à croire chose pareille ? Commences-tu à t’ennuyer tout seul avec moi ?

— Non, pas du tout, s’écria Jock embarrassé ; mais je vous ai entendu dire à cet homme que vous alliez recevoir un ami.

— Voilà ce qu’on peut appeler de l’imagination  ! Le monsieur auquel je pensais, je ne l’ai jamais vu ; il faudra que je lui verse de beaux honoraires pour qu’il vienne me donner son avis sur Beggarmoor. Rappelle-toi que tu ne dois souffler mot de cette visite ; pas même au vieux Harrison. Je veux qu’elle reste secrète », ajouta-t-il vivement.

Jock promit obéissance et ne s’aventura plus à interrompre les réflexions de son oncle.

Ils arrivèrent enfin au faubourg de la ville et la voiture s’arrêta devant une maison d’aspect confortable.

« Va m’attendre dans le jardin ; je veux parler à M. Harrison d’affaires qui ne t’intéressent pas », dit M. Grimshaw qui, après s’être assuré que le notaire était chez lui, s’engageait dans le vestibule.