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partagé évidemment entre le désir de fracasser le crâne de son adversaire et la terreur qui émane de lui. Puis soudain, avec un cri de triomphe, la bête, changeant d’idée, lâche sa massue, empoigne Djaldi, l’enlève comme une plume, le jette sur son épaule, et, d’un bond, saute sur une branche à quatre ou cinq mètres au-dessus du sol, tandis que sa main gauche agite toujours la sonnette.

Djaldi pousse un cri, instantanément puni d’une tape sur la tête, et le singe, reprenant son irrésistible élan, va disparaître avec lui parmi les branchages, lorsqu’une détonation éclate ; la balle d’un revolver lui fracasse la tête. Un cri presque humain retentit ; la bête dégringole, vient s’abattre dans une dernière convulsion aux pieds de Gérard, tandis que Henri, apparaissant à travers le feuillage, se laisse tomber légèrement à côté de la masse formée par le singe et l’enfant.

Se remettant d’une alarme si chaude, on se relève, on se palpe, on constate que Djaldi n’a aucun mal, et, ajournant à un moment plus propice la semonce sans doute trop méritée, on se dispose à reprendre la route aérienne qui mène à l’Epiornis. Mais, à peine debout, Djaldi pense à sa chère sonnette. Il se jette sur le singe ensanglanté, retourne sa lourde carcasse, réussit à arracher de sa patte crispée l’objet du litige. Alors, seulement, il consent à monter à l’arbre. Gymnastes accomplis, les deux frères, traînant après eux le tonnelet, ont tôt fait de se hisser jusqu’au sommet, et, leur petit compagnon ne leur cédant en rien pour l’agilité, ils ont bientôt atteint l’aviateur. Leur premier soin est de se désaltérer à longs traits, car le baril soigneusement bouché n’a pas perdu une goutte de son eau claire et limpide, et cette fraîche rasade leur fait à tous le plus grand bien.

« À nous deux, maître Djaldi ! dit alors Gérard. Comment t’es-tu trouvé en bas ? »

Djaldi baisse la tête.

« Surtout, pas de faux-fuyants, reprend Henri sévèrement. Pas de mensonge, si petit soit-il ! Tu as mal agi ; confesse ta faute bravement, elle te sera plus vite pardonnée.

— Je dirai la vérité, Sahib. Je m’ennuyais bien là-haut… Oh ! comme je m’ennuyais ! Tu travaillais sans songer à moi… Et Gérard Sahib était parti depuis des heures, je crois… et alors… j’ai pensé que je pourrais aller voir sur la première branche s’il ne revenait pas…

— Bon ! Désobéissance no 1. Tu as quitté ton poste. Après ?

— Alors j’ai cru que si je descendais plus encore, il entendrait mieux la sonnette…

— Et de branche en branche tu es arrivé sur le sol.

— C’est que j’avais vu en bas Gérard Sahib.

— Moi ? Par exemple !…

— Au moins je l’avais cru. Et c’était…

— Le babouin ! Merci !… très flatté d’apprendre que la ressemblance est si frappante !

— Et puis, continue Djaldi, arrondissant de grands yeux, en bas ce n’était pas toi !… C’était un vieux Sahib… si vieux… si vieux… il m’a semblé un instant que c’était un bonze très vénérable, que je connais… mais pas du tout ! c’était un vieillard très méchant… Il m’a pris ma sonnette et il s’est mis à carillonner… Et plus je lui criais de me la rendre, plus il la faisait aller…

— Si bien qu’en entendant le tintamarre, je suis venu voir ce qui se passait, et suis arrivé juste à temps pour sauver ce jeune singe des griffes de son congénère, dit Henri. Décidément Djaldi, ta désobéissance finira par nous jouer quelque mauvais tour. Toi qui affiches à tout propos ta reconnaissance et ton affection pour Gérard Sahib, sais-tu bien que tu as failli deux fois lui coûter la vie ? »

De grosses larmes parurent dans les yeux du petit Hindou.

« Djaldi aimer Gérard Sahib ! et le grand Sahib !… les aimer de tout son cœur !… fit-il