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A. DECKER

l’annoncer, reprit la mère, en le rapprochant d’elle avec tendresse. Tu ne m’avais jamais dit que tu l’aimais à ce point.

— Quand est-il mort ?… A-t-il été longtemps malade ? demanda Jock, insensible aux caresses de sa mère pendant qu’il se tenait debout près d’elle dans une attitude de profonde tristesse.

— La mort a été subite. Je savais qu’il souffrait d’une maladie qui pouvait l’enlever brusquement, c’est pourquoi je t’ai permis de te rendre auprès de lui. M. Harrison me dit qu’il est mort en t’écrivant ; c’est une preuve qu’il t’aimait, quoiqu’il le témoignât d’une étrange manière.

— Était-il tout seul ? demanda l’enfant après un moment de silence.

— Oui, il était tout seul dans la bibliothèque. Il doit être mort doucement : on l’a trouvé assis dans son fauteuil, la lettre inachevée devant lui. M. Harrison dit que sa mort a été d’abord constatée par un fermier qu’il avait fait appeler quelques instants auparavant. Cet homme, entré dans l’appartement, voyant que M. Grimshaw ne le regardait pas, ne lui parlait pas, avait aussitôt donné l’alarme.

— Qui était cet homme ? M. Harrison ne donne-t-il pas son nom ? demanda Jock de plus en plus ému.

— Oh ! un drôle de nom, qui commence par Bag…, je crois ; mais je vais regarder la lettre de nouveau, répliqua Mme Pole, en retirant de son enveloppe la missive du notaire.

— Bagshaw !… je le connais, s’écria Jock. Mais, maman, c’est sûrement l’écriture de M. Grimshaw, ajouta-t-il, en montrant du doigt une des feuilles que tenait sa mère.

— Oui, voilà la lettre que ton oncle t’écrivait au moment où il est mort, et c’est à son sujet que je veux t’entretenir. M. Harrison prétend qu’il ne sait rien de l’héritage dont il est question dans ce papier ; aussitôt que le testament aura été ouvert, il nous fera savoir ce qu’il renferme. Si ton oncle t’a fait, comme il semble, un legs dérisoire, j’estime que c’est pour nous un affront cruel. »

Jock se retourna, tout tremblant de douleur et d’indignation et retenant un geste de fureur.

« Pourquoi, s’écria-t-il, M. Harrison a-t-il lu cette lettre qu’il savait m’être destinée ? Comment pouvez-vous parler ainsi de M. Grimshaw ? Je ne lui ai jamais rien demandé ; ce que je veux, c’est la lettre qui m’appartient. »

Sans écouter les remontrances de sa mère, Jock saisit la feuille précipitamment et sortit de la chambre.

Il s’enfuit à travers champs, jusqu’à ce qu’il eût atteint un endroit à l’abri de tous les regards, et là, étendu par terre, il laissa éclater les sanglots qui l’étouffaient.

D’abord, il ne pensa qu’à la perte de son oncle qui avait été si bon pour lui ; c’était la seule personne qui, depuis la mort de son père, ne l’eût jamais trouvé bizarre, et qui eût semblé sourire à ses rêves.

Si, encore, il avait pu être le compagnon de ses derniers jours ! Quelle bonne inspiration il avait eue, au moment du départ, de donner à son parent un second adieu, dans une caresse très tendre.

Jock éprouva une nouvelle douleur en songeant que, seul, peut-être, il regrettait sincèrement le vieillard. Il ne s’expliquait pas que sa mort n’eût eu pour témoin que l’homme qui inspirait à M. Grimshaw tant d’aversion et une défiance si fondée.

Bientôt, plus calme, l’enfant tira la lettre de sa poche, et, les yeux noyés de larmes, il lut ces lignes, tracées d’une main défaillante :

« Mon cher petit garçon.

« Il faut que je t’écrive aujourd’hui, car mes forces s’en vont grand train, et je ne te reverrai plus jamais. Je n’ai pas oublié ton désir ; Beggarnoor sera à toi après ma mort. Modeste héritage ! diront d’abord ta mère et M. Harrison. Ils changeront d’avis quand tu leur montreras la feuille ci-incluse, et verront