Page:Hetzel - Verne - Magasin d’Éducation et de Récréation, 1903, tomes 17 et 18.djvu/769

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Enfin, peu à peu, par de bonnes paroles, des assurances réconfortantes, leurs amis réussirent à leur faire relever la tête, à sécher leurs pleurs. En quelques paroles émues, Nicole mit sa mère au courant de ce qu’ils avaient fait pour elle. Une fervente action de grâce s’échappa des lèvres de la digne femme ; et Rosenn exprimant l’intention de repartir sans délai afin de se retrouver plus tôt chez elle, une diversion se produisit.

Nicole, reprenant d’instinct ses habitudes de ménagère modèle, découvrit par intuition le morceau de pain noir, la minuscule jatte de lait qu’elle pouvait offrir à ses hôtes, tandis que Gérard, sortant sans bruit, se mettait en devoir de bouchonner, étriller et panser Trekk, lui trouvait un seau d’eau claire et une brassée d’herbe fraîche que la bonne bête dégusta sans se faire prier, poussant affectueusement son nez velouté contre l’épaule de Gérard, en qui il avait sans peine reconnu un ami vrai des animaux. Dames Gudule et Nicole ayant embrassé Rosenn avec affection, car la nature franche et sincère de la jeune Boer la rendait sympathique, et Henri lui ayant remis un second billet de banque, elle remonta dans sa carriole et repartit, non sans tourner souvent la tête en arrière pour regarder ses nouveaux amis, groupés sur le seuil de la maisonnette.

Quand Rosenn eut définitivement disparu, on tint conseil. Henri et Gérard étaient d’avis que, rien ne retenant plus dame Gudule et sa fille sur le territoire boer, elles devaient le quitter sans délai pour venir avec eux à Paris. Outre le besoin qu’elles avaient de se refaire, de reprendre leurs forces affaiblies par les désastres et les privations, l’état du pays en ferait pendant longtemps encore un séjour peu désirable pour des femmes seules. Plus tard, quand tout serait rentré dans l’ordre, qu’on verrait jour à reconstituer un foyer, il serait possible de revenir tous fonder une seule famille dans les libres espaces que les Massey avaient appris à chérir comme une seconde patrie. Bien qu’il en coûtât cruellement à dame Gudule de quitter son pays natal pour s’expatrier, d’y laisser tous ceux qu’elle pleurait, et la tombe encore fraîche de son dernier-né, — l’intérêt évident de sa fille fit taire ses sentiments personnels ; elle se rendit aux raisons d’Henri.

« Il en sera comme vous voudrez, mon fils, dit-elle avec une dignité simple. Nous n’avons plus que vous au monde ; nous sommes entre vos mains. »

Se réservant de réclamer en temps et lieu l’indemnité due à Mme  et à Mlle Mauvilain pour les biens qu’elles avaient perdus, on se résolut donc au départ.

Dame Gudule avait conservé deux maigres chevaux qui se nourrissaient seuls dans la campagne environnante, mais revenaient au premier appel avec une docilité canine. Une vieille guimbarde se trouvant derrière la maison, on les y attela tant bien que mal, et, mettant la clef sous la porte, on se dirigea vers Modderfontein, distante de quelques lieues, après que la mère et la fille eurent cueilli quelques brins d’herbe autour de l’humble petite tombe creusée dans le champ.

Ayant, non sans peine, équipé leurs compagnes pour le voyage, car les magasins de la ville étaient pauvrement fournis, les jeunes Massey les amenèrent enfin à Durban où, huit huit jours plus tard, ils s’embarquaient pour l’Europe.

Une dépêche, envoyée dès qu’on avait touché terre à Ceylan, était, bien entendu, arrivée à Passy, pour calmer l’inquiétude dans laquelle le long silence des jeunes gens avait plongé leur famille.

Mme Massey ne pouvait croire encore au bonheur de les revoir.

Enfin le jour tant désiré se lève ; Martine, rayonnante, apporte le bienheureux télégramme, daté de Marseille :

« Arriverons demain neuf heures. Tous bien.

« Henri. »