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On entend la messe d’abord, il est vrai, dans l’église toujours trop petite, et, le plus souvent, devant l’église, dont le portail reste ouvert. Après la messe, les cabarets voisins s’emplissent, les petits marchands de noisettes, de pommes et de bonbonnaille sont plus ou moins assiégés, une bonne moitié des gens en liesse vont s’installer sur la grève et, avant de déjeuner, tout le monde prend un bain de mer.

L’aspect des plages, en ce cas, est des plus pittoresques. Sur le sable, des centaines de familles ; dans l’eau, des centaines de têtes, une ruche de gens en gaîté, quelques-uns dansant, d’autres déjà installés autour des paniers de provisions. Telle est la tradition, si établie que la pluie survenant n’interrompt les plaisirs que si elle est trop forte.

Ce jour-là, les protecteurs de la petite Manette arrivèrent au moment où cette réjouissance battait son plein. Le fermier arrêta ses bœufs sur le gazon de la falaise, et, sans même les dételer, leur ôtant seulement leur joug, leur mit sous les naseaux de grosses bottes de foin. Manette avait depuis longtemps tendu ses bras à dame Kornic et sautait déjà en poussant des exclamations joyeuses, tenant toujours son bouquet. Le soleil avait définitivement eu raison des nuages : il allait faire beau, et des cris montaient de la grève, témoignaient de la satisfaction que ce temps inespéré causait à la foule des baigneurs indigènes après une nuit et une matinée de pluie. L’herbe rare du sommet de la falaise était déjà sèche ; le sable fin en avait bu tout de suite l’humidité. Le gars du fermier se hâtait de sortir les paniers de victuailles et les vêtements de rechange, les Bretonnes se baignant tout habillées. Dame Kornic embrassait encore Manette en lui recommandant d’être sage, que les deux hommes descendaient par le raidillon vers la grève.

« Je reviendrai vous chercher bientôt, pour le déjeuner, dit la bonne femme. Manette, vous ne bougerez pas de par ici.

— Non, je vais cueillir des fleurs. Il y en a des belles, là, dans le champ d’ajoncs.

— C’est ça. À tout à l’heure. Soyez bien sage. »

Mme Kornic partie, Manette, enchantée d’être seule, courut, en sautant, vers le champ d’ajoncs, pendant que les bœufs broyaient philosophiquement leur foin.

Il était bien joli le champ d’ajoncs. Il y avait là un fouillis de fleurs d’or, et, plus bas, en bordure, tant de délicates clochettes de bruyère, sans compter les fougères dentelées et les hautes tiges à ombrelles du fenouil qui a une si bonne odeur d’anis. Manette s’arrêta pourtant brusquement à la lisière de ce champ, qui était pour elle un véritable bois, et dit :

« C’est pas tout ça, c’est du chèvrefeuille que je veux. Les ajoncs, ça pique trop. »

Des chèvrefeuilles, il y en avait quelques-uns, mais sur des branches élevées qui couraient au sommet des ajoncs. Manette n’avait pas le bras assez long. Il fallait s’approcher des épines, et elle s’en tenait à distance respectueuse, en appuyant une main sur sa robe. L’autre main n’atteignait pas à beaucoup près les jolies fleurs si odorantes ; Manette fit une moue et marcha le long du champ d’ajoncs, dans la direction de la mer, en quête de branches plus accessibles. Arrivée au bord de la falaise, elle y aperçut, sur des buissons, des chèvrefeuilles fleuris. Elle en cueillit quelques brins, assez bas pour qu’elle put les tirer, mais il lui en fallait plus que cela. Suivant toujours la haie, elle rencontra un petit sentier qui descendait parmi les buissons, et comme c’est très gentil de se promener dans les petits sentiers qu’on ne connaît pas, elle y entra aussitôt, espérant continuer sa récolte de chèvrefeuille. Elle trouva une fontaine, bien jolie, à l’ombre des panaches de roseaux, mais il n’y avait point de chèvrefeuille. Elle se retourna et en aperçut beaucoup de très beaux, bien fleuris, qui tendaient leurs petits