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Page:Histoire anonyme de la première croisade, trad. Bréhier, 1924.djvu/113

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se trouvaient dans la ville, avaient de nous une telle frayeur que pendant quinze jours nul d’entre eux n’osa attaquer l’un des nôtres. Bientôt prenant nos quartiers autour d’Antioche, nous trouvâmes en cet endroit une extrême abondance, vignes bien garnies, cachettes remplies de blé, arbres couverts de fruits et toutes espèces de ressources utiles à la nourriture[1].

Les Arméniens et les Syriens[2], qui étaient à l’intérieur de la ville, en sortaient comme pour fuir et se trouvaient chaque jour avec nous, tandis que leurs femmes restaient dans la cité. Ils s’enquéraient habilement de nous et de notre situation et rapportaient tout à ces excommuniés qui étaient enfermés dans la ville. Après que les Turcs furent suffisamment instruits de ce qui nous concernait, ils commencèrent peu à peu à sortir de la ville et à cerner nos pèlerins. Ce n’était pas d’un seul côté, mais partout qu’on les trouvait cachés sur notre passage, vers la mer ou la montagne.

Non loin se trouvait un château appelé Harenc[3], où s’étaient postés un grand nombre de Turcs très vaillants, qui inquiétaient fréquemment les nôtres. L’ayant appris, nos seigneurs en furent marris et envoyèrent plusieurs de leurs chevaliers reconnaître au plus tôt l’endroit où se trouvaient les Turcs. Ayant reconnu l’endroit où ils se cachaient, nos chevaliers, qui les cherchaient, vont à leur rencontre. Les nôtres battent progressivement en retraite jusqu’à l’endroit où ils savaient que Bohémond se trouvait avec sa troupe. Deux des nôtres furent tués dans cette affaire. À cette nouvelle, Bohémond s’élança avec les siens comme un vaillant athlète du Christ. Les barbares s’acharnèrent contre

  1. Sur cette abondance et sur l’imprévoyance des croisés, qui gaspillaient les provisions, voir les détails donnés par Raimond d’Aguilers, 5, p. 242.
  2. Les Syriens formaient la population indigène la plus culti- vée. Le nombre des Arméniens s’était accru dans la ville vers 1084, lorsqu’un noble arménien, Philarète Brachamios, avait fait d’Antioche la capitale d’une principauté, détruite par les Turcs en 1085.
  3. Aregh (Harenc de Raoul de Caen et Guillaume de Tyr), situé, d’après Anselme de Ribemont (lettre no 1, dans Epistulae et chartae, p. 138), à huit milles d’Antioche, au delà du pont du Far, autrement dit de l’Oronte (voir plus haut, p. 66, n. 1).