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Page:Histoire anonyme de la première croisade, trad. Bréhier, 1924.djvu/15

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jurent par les noms de tous leurs dieux et reconnaissent le calife comme leur pape. Ces morceaux romanesques relèvent plus du folklore que de l’histoire ; ils nous montrent l’idée que les chrétiens se faisaient des musulmans, et on peut les rapprocher de passages analogues de nos chansons de geste. On a peine à croire que le chevalier anonyme, qui rapporte d’ordinaire si sobrement et presque toujours en style indirect les discours qu’il attribue à ses personnages, soit l’auteur de ces exercices de rhétorique et, d’autre part, à travers l’érudition biblique de la mère de Kerbôga on devine l’intervention du même clerc qui a rédigé le premier chapitre du livre.

4o Enfin deux chapitres nous paraissent constituer des interpolations ajoutées plus tard à l’ouvrage. L’un (chap. XXVII) raconte l’entrevue du comte Étienne de Blois après sa fuite d’Antioche et reproduit de longs discours qui ne sont pas dans la manière de l’Anonyme ; ce morceau paraît remonter à l’époque de la querelle entre Bohémond et Alexis (1103-1111) et pourrait bien être une pièce de propagande destinée à soulever les Occidentaux contre l’empire byzantin. L’autre (chap. XXXII) est une description d’Antioche intercalée bizarrement entre le récit de l’expédition de Raimond de Toulouse contre Albara et celui du siège de Marra. Ces deux morceaux rompent la suite des événements et, bien qu’ils figurent dans tous les manuscrits, on doit les considérer comme ajoutés à la rédaction primitive.

Ainsi l’analyse du texte nous révèle la collaboration d’un chevalier, à qui l’on doit le récit des faits dont il a été le témoin oculaire ou sur lesquels il a pu se procurer des renseignements précis, et d’un clerc qui a voulu enrichir ces données à sa manière par des amplifications d’un caractère oratoire, dont les thèmes lui étaient fournis par sa connaissance des Écritures et de la littérature populaire, aussi