Aller au contenu

Page:Histoire anonyme de la première croisade, trad. Bréhier, 1924.djvu/151

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bientôt, s’il plaît à Dieu, sous notre garde. » Ils vinrent jusqu’à l’échelle qui était dressée et fortement liée aux murs de la cité ; environ soixante hommes des nôtres l’escaladèrent et furent répartis entre les tours dont il avait la garde. Pirrus, voyant que si peu des nôtres étaient montés, commença à craindre, redoutant pour lui et les nôtres de tomber entre les mains des Turcs. « Μικροὺς Φράγκους ἔχομεν », s’écria-t-il (c’est-à-dire : nous avons peu de Francs[1]). « Où est donc cet ardent Bohémond ? Où est cet invincible ? » Au même moment un sergent longobard[2] redescendit et, courant précipitamment à Bohémond, lui dit : « Que fais-tu là, homme prudent ? Pourquoi es-tu venu ici ? Voici que nous tenons déjà trois tours ! » Excité par ces mots, il rejoignit les autres, et tous parvinrent joyeusement à l’échelle.

À cette vue, ceux qui étaient déjà dans les tours se mirent à crier d’une voix joyeuse : « Dieu le veut ! » Nous-mêmes poussions le même cri[3]. Alors commença l’escalade merveilleuse ; ils atteignirent enfin le faîte et coururent à la hâte aux autres tours ; ils massacraient tous ceux qu’ils y trouvaient, et le frère de Pirrus périt ainsi. Puis l’échelle par laquelle avait lieu notre escalade se rompit, ce qui nous plongea dans une grande angoisse et dans la tristesse. Cependant, bien que l’échelle fût rompue, il y avait à notre gauche une porte fermée, ignorée de quelques-uns. Il faisait encore nuit, mais, en tâtonnant et en cherchant, nous finîmes par la trouver : tous nous y courûmes et, après l’avoir brisée, nous entrâmes grâce à elle[4].

  1. Il n’y a aucune raison pour mettre en doute, comme le veut Hagenmeyer (édition des Gesta, p. 303, n. 43), la véracité de la réflexion de Firouz. Le grec était resté en Orient une langue internationale et beaucoup de Turcs le parlaient.
  2. Sur le sens du mot « Longobard », voir p. 6, n. 2.
  3. L’auteur se trouvait donc dans la suite de Bohémond.
  4. L’emploi de la première personne montre que l’Anonyme faisait partie lui-même de cette troupe.