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Page:Histoire anonyme de la première croisade, trad. Bréhier, 1924.djvu/163

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nés à mort ou conduits en captivité dans le Khorassan, parce qu’ils nous menacent de nous repousser par leurs armes et de nous expulser hors de nos frontières, comme ils ont expulsé nos parents de Romanie ou de Syrie. Et je vous fais serment par Mahomet et par les noms de tous nos dieux[1] que je ne reparaîtrai pas en votre présence avant d’avoir acquis de ma forte main la ville royale d’Antioche, toute la Syrie et la Romanie et la Bulgarie jusqu’à l’Apulie, en l’honneur de nos dieux, de vous et de tous ceux qui sont de la race turque. » Telle fut sa conclusion.

[22.] La mère du même Courbaram, qui se trouvait dans la ville d’Alep, vint le trouver et lui dit tout en larmes[2] : « Fils, est-ce vrai ce que j’apprends ? » — « Quoi ? » répondit-il. — « J’ai appris, dit-elle, que tu veux engager la bataille avec l’armée des Francs. » — « Sache que c’est vrai. » — « Je t’adjure, mon fils, par les noms de tous les dieux et par ton bon naturel, de ne pas engager la bataille avec les Francs. Chevalier invincible, nul ne t’a jamais vu sur le terrain fuir devant un vainqueur. Ta chevalerie est renommée, et partout les meilleurs chevaliers tremblent en entendant ton nom. Nous savons suffisamment, fils, que tu es un guerrier puissant, courageux, savant dans l’art de la guerre : aucune nation chrétienne ou païenne n’a pu manifester sa force devant ta face, mais on les voyait fuir au seul bruit de ton nom, comme des brebis fuient devant la fureur d’un lion. Pour

  1. Les Occidentaux considéraient les Musulmans comme des païens adorant des idoles et croyant à l’existence de plusieurs dieux. Le point de vue de l’Anonyme est le même à cet égard que celui des chansons de geste.
  2. Sur le caractère entièrement romanesque de ce morceau, voir l’Introduction, p. VI-VII.