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Page:Histoire anonyme de la première croisade, trad. Bréhier, 1924.djvu/171

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Turcs s’approcha avec lui de la cité, du côté où se trouvait le château[1]. Nous, pensant que nous pourrions leur résister, nous nous préparâmes à les combattre ; mais ils déployèrent une telle vigueur que nous ne pûmes leur résister, et ce fut par force que nous rentrâmes dans la ville, dont la porte se trouva si resserrée et si étroite que beaucoup y moururent étouffes par leurs compagnons[2].

Les uns combattaient hors de la ville, les autres à l’intérieur, le jour de la cinquième férié, pendant toute la journée jusqu’au soir[3]. Sur ces entrefaites, Guillaume de Grandmesnil et son frère Aubri[4], Gui Trousseau[5] et Lambert le Pauvre[6], terrifiés par le combat de la veille, qui avait duré jusqu’au soir, s’enfuirent secrètement la nuit le long du mur[7] du côté de la mer, si bien que de leurs pieds et de leurs mains il ne restait plus que les os[8], et beaucoup, qui me sont inconnus, s’enfuirent avec eux[9]. Arrivés aux navires qui se trouvaient à Port-Saint-Siméon, ils dirent aux matelots : « Que faites-vous là, malheureux ? Tous les nôtres sont tués, et c’est à grand’peine que nous-mêmes avons échappé à la mort, car l’armée turque nous assiège dans la ville de tous côtés. » À ces mots, ceux-ci restèrent stupéfaits, puis, frappés de terreur, ils coururent à leurs navires et se mirent

  1. La citadelle, toujours occupée par les Turcs.
  2. Cette porte se trouvait au midi, dans la partie la plus élevée de l’enceinte.
  3. Le 10 juin. D’après la lettre des princes à Urbain II (citée, p. 125, n. 4), cent Turcs avaient réussi à pénétrer dans la citadelle et essayèrent vainement de franchir la porte qui, dans le bas, la faisait communiquer avec la ville.
  4. Grandmesnil, arrondissement de Lisieux.
  5. Guy Trousseau, seigneur de Montlhéry.
  6. Lambert le Pauvre, comte de Clermont, près de Liége.
  7. Les variantes de C, qui introduisent deux autres noms et parlent de fuite au moyen d’une corde (dimissi sunt fune) dénotent une tradition postérieure, mais qui finit par prévaloir, les fugitifs n’étant plus désignés que sous le nom de « funambules ».
  8. C’est-à-dire qu’en descendant le long du mur ils s’étaient écorchés au point que leurs os étaient à vif.
  9. Dans une lettre aux évêques des Gaules datée de janvier 1099, le pape Pascal II excommuniait les déserteurs d’Antioche (Epistulae et chartae, p. 175).