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Page:Histoire anonyme de la première croisade, trad. Bréhier, 1924.djvu/177

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fuirait ni pour échapper à la mort ni pour sauver sa vie. On dit[1] que Bohémond jura le premier, puis ce fut au tour du comte de Saint-Gilles, de Robert de Normandie, du duc Godefroi et du comte de Flandre. Tancrède jura en ces termes que, tant qu’il aurait avec lui quarante chevaliers, il ne s’écarterait pas non seulement de cette guerre, mais même de la route du Saint-Sépulcre. À la nouvelle de ce serment, toute l’armée chrétienne exulta[2].

[25.] Il y avait un pèlerin de notre armée, Pierre était son nom[3], à qui, avant notre entrée dans la ville, l’apôtre saint André apparut[4] en lui disant : « Que fais-tu, mon brave ? » — « Toi, qui es-tu ? répondit-il. » L’apôtre lui dit : « Je suis l’apôtre André. Apprends, mon fils, que quand tu entreras dans la ville, si tu te rends à l’église Saint-Pierre, tu y trouveras la lance de notre Sauveur Jésus-Christ[5], par laquelle il fut blessé lorsqu’il était suspendu au gibet de la croix. » Après avoir dit ces mots, l’apôtre disparut.

Cet homme, craignant de révéler le conseil de l’apôtre, s’abstint d’en faire part à nos pèlerins. Il pensait qu’il n’avait eu qu’une vision et il lui dit : « Seigneur, qui pourrait le croire ? » À l’heure même, saint André le prit et le conduisit à l’endroit où la lance était cachée dans la terre.

  1. L’expression dicitur laisse supposer que l’Anonyme n’a pas assisté à la scène.
  2. Cependant, le découragement était tel que, le soir même, Bohémond et l’évêque du Puy durent arrêter de nouvelles tentatives de fuite (Raimond d’Aguilers, 11, p. 256).
  3. Cf. la lettre du clergé et du peuple de Lucques (Epistulae et chartae, p. 166) : « Un très pauvre Provençal méprisé de tous », et Raimond d’Aguilers, 10, p. 253 : « Un pauvre paysan ». Tudebode, p. 70, et l’Historia belli sacri, p. 201, donnent son nom : Pierre Barthélemi.
  4. D’après le récit de Pierre Barthélemi, saint André lui apparut cinq fois : au moment du tremblement de terre d’Antioche (30 décembre 1097), mercredi des cendres (10 février 1098), puis le dimanche des Rameaux (20 mars 1098), une quatrième fois lorsqu’il tenta de s’enfuir à Chypre, enfin le 10 juin 1098 (Raimond d’Aguilers, 10, p. 253-255).
  5. Jean, XIX, 34. Il est bon de remarquer que les empereurs byzantins prétendaient posséder la « sainte Lance », apportée à Constantinople après la prise de Jérusalem par les Perses. Au xie siècle, elle était conservée dans l’église Sainte-Marie-du-Phare (Ebersolt, Sanctuaires de Byzance, Paris, 1921, p. 9, 24, 116).