il paraît difficile de croire que, si l’Anonyme avait copié Tudebode, il eût laissé de côté systématiquement les passages empruntés à Raimond d’Aguilers. La querelle, née au xviie siècle, lorsque André Duchesne publia en 1641 le manuscrit de Tudebode découvert par Besly[1], a été tranchée au xixe siècle en faveur de l’Anonyme, qui est bien l’auteur original. La tradition manuscrite des deux ouvrages est en général distincte ; cependant, comme nous allons le montrer, il y a des exemples de contamination des deux textes. C’est donc à tort que les éditeurs du Recueil des historiens des croisades ont publié le texte de l’Anonyme sous le titre de « Tudebode abrégé ». Il arrive au contraire que, dans certains chapitres, la narration des Gesta est plus complète que celle de Tudebode. Par exemple, le chapitre XI de l’Anonyme correspond au chapitre I du thème II de Tudebode qui, après avoir raconté les négociations de Bohémond avec le curopalate envoyé par l’empereur, passe directement à l’arrivée des Normands à Rousa, oubliant ainsi l’épisode si curieux où l’on voit Bohémond empêcher son armée d’attaquer une ville, puis le passage des croisés à Serrès, enfin les négociations avec deux autres curopalates. Tudebode n’a donc fait ici que résumer le texte de l’Anonyme en négligeant des faits intéressants.
- ↑ André Duchesne, Scriptores rerum Francicarum, t. IV, p. 773-815. L’originalité de Tudebode a été soutenue au xixe siècle par Wilken, Michaud, P. Paris (préface de l’édition de la Chanson d’Antioche, 1848) et les éditeurs du Recueil des historiens des Croisades (Historiens occidentaux, t. III, p. 121-163). Sybel, en 1841, F. de Saulcy, en 1842 (op. cit.), ont bien établi que l’Anonyme est l’original et Tudebode le plagiaire. Leurs arguments ont été développés par Thurot, Études critiques sur les historiens de la première croisade, dans la Revue historique, t. I (1876), p. 67, et Hagenmeyer, Anonymi Gesta Francorum, Heidelberg, 1890 (préface à l’édition des Gesta Francorum).