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Page:Histoire anonyme de la première croisade, trad. Bréhier, 1924.djvu/28

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aucun effet, sans faire de citations bibliques ou d’allusions aux auteurs classiques[1].

Cette simplicité même et cette naïveté ne vont pas d’ailleurs sans inconvénients. Le chevalier, peu instruit, disposait d’un vocabulaire assez pauvre et, quand il décrit une bataille ou quand il donne des détails sur le ravitaillement des croisés, les mêmes formules stéréotypées reviennent jusqu’à la satiété. Les adversaires que les croisés ont en face d’eux sont toujours « les Turcs, Arabes, Sarrasins, Angulans, Azymites, dont on ignore le nombre ». Ils cherchent à entourer les croisés « en lançant des flèches, en combattant à l’aide de javelots et de lances ». Les prisonniers faits par les Turcs sont toujours « emmenés dans le Khorassan, à Antioche, à Alep », ou menacés « de subir une sentence capitale ». Il en résulte une grande monotonie, atténuée heureusement par des détails naïfs et pittoresques.

La langue de l’Anonyme est très éloignée du latin classique et se rapproche des langues nationales de l’Occident, italien ou français, sans qu’on puisse préciser davantage. Sa phrase a un caractère nettement analytique et elle est en général assez courte, bien que parfois encombrée d’incidentes amenées par des participes présents, des conjonctions ou des pronoms relatifs. Sa syntaxe surtout n’a plus aucun caractère classique. Il ignore la proposition infinitive, qu’il remplace par la conjonction quod avec le subjonctif[2]. Il fait très peu usage des particules, qui donnent plus de vigueur à la phrase, ou il les emploie à contresens ; une de

  1. Nous en exceptons, bien entendu, les chapitres que nous avons attribués à la collaboration d’un clerc et où l’on trouve justement toute cette fausse ormementation.
  2. « Audientes denique Turci quod Petrus Heremita et Gunalterius sine habere fuissent in Cyvito. » (chap. II).