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Page:Histoire anonyme de la première croisade, trad. Bréhier, 1924.djvu/27

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le prix des denrées, surtout celui du pain, et il note même la valeur des deniers occidentaux en sous d’or byzantins, ainsi que les spéculations des mercantis arméniens sur la nourriture des croisés pendant le siège d’Antioche (chap. XIV).

Et, de même, à travers son récit, nous saisissons nettement l’état moral et religieux des croisés, leur enthousiasme pour la délivrance du Saint-Sépulcre, leur abattement devant les dures réalités de la guerre et leurs sursauts de courage dès qu’un événement favorable vient les réconforter. Il nous dépeint aussi leur fanatisme à l’égard des infidèles, leur horrible cruauté dans les batailles ou après la prise d’assaut d’une ville, leur amour du pillage, les calculs et les jalousies des chefs, les souffrances des simples chevaliers et surtout de la « menue gent » qui suit l’armée. Enfin, on peut tirer de son livre des données précieuses sur les méthodes de combat, sur l’armement des chevaliers, sur les procédés employés pour l’attaque des villes et sur les machines de siège qui constituaient l’artillerie de cette époque. En un mot, c’est toute la société féodale de la fin du xie siècle que ce livre fait vraiment revivre à nos yeux.

7. La langue et le style. — Une pareille précision, un si grand nombre de détails pittoresques donnent à ce texte une valeur littéraire d’autant plus marquée qu’elle n’a été nullement recherchée par son auteur. Si l’on excepte les morceaux de bravoure que l’on doit attribuer à l’intervention d’un clerc, le style de l’Anonyme est d’une extrême simplicité, et c’est par là surtout qu’il choquait les Guibert de Nogent, les Baudri de Bourgueil, qui n’y retrouvaient pas les éléments oratoires et les fleurs de rhétorique auxquels leur éducation les avait habitués. Par bonheur, cette éducation faisait défaut à notre chevalier, et il s’est contenté d’écrire probablement comme il parlait, sans rechercher