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Page:Histoire anonyme de la première croisade, trad. Bréhier, 1924.djvu/95

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nous fîmes un butin considérable, de l’or, de l’argent, des chevaux, des ânes, des chameaux, des brebis, des bœufs et beaucoup d’autres choses que nous ignorons. Si le Seigneur n’eût été avec nous dans cette bataille, s’il ne nous avait pas envoyé rapidement l’autre armée[1], aucun des nôtres n’eût échappé, car, de la troisième à la neuvième heure, le combat fût ininterrompu. Mais Dieu tout-puissant, pitoyable et miséricordieux, ne permit pas que ses chevaliers périssent ou tombassent entre les mains de leurs ennemis, et il nous envoya ce secours en toute hâte. Deux chevaliers des nôtres, pleins d’honneur, Godefroi de Monte-Scabioso[2] et Guillaume, fils du Marquis, frère de Tancrède, et d’autres chevaliers et piétons dont j’ignore les noms trouvèrent ici la mort.

Qui sera assez sage, assez savant pour oser décrire la sagacité, les dons guerriers et la vaillance des Turcs ? Ils croyaient effrayer la nation des Francs par la menace de leurs flèches, comme ils ont effrayé les Arabes, les Sarrasins, les Arméniens, les Syriens, les Grecs. Mais, s’il plaît à Dieu, ils ne vaudront jamais les nôtres[3]. À la vérité, ils se disent de la race des Francs et prétendent que nul, à part les Francs et eux, n’a le droit de se dire chevalier[4]. Je dirai la vérité, et nul ne la contestera : certainement, s’ils avaient toujours gardé fermement la foi du Christ et de la sainte Chrétienté, s’ils avaient voulu confesser un seul Seigneur en trois personnes, un fils de Dieu né d’une Vierge, qui a souffert, est ressuscité d’entre les morts, est monté au ciel à la vue de ses disciples, a envoyé la consolation parfaite de l’Esprit-Saint, s’ils avaient voulu croire, avec une foi et un jugement droit, qu’il règne au ciel et sur la terre, on ne

  1. Allusion à la deuxième division des croisés mentionnée plus haut.
  2. Onfroi de Monte-Scabioso (voir plus haut, p. 21) ; on ne sait si c’est le même.
  3. L’emploi du futur indique que ce passage a été rédigé au cours de l’expédition.
  4. Allusion curieuse à la légende qui fait descendre des Troyens les Francs et les Turcs.