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Sœur Thérèse de l’Enfant-Jésus.

chanter ce que je dois redire éternellement : les miséricordes du Seigneur !…

Avant de prendre la plume, je me suis agenouillée devant la statue de Marie[1] : celle qui a donné à ma famille tant de preuves des maternelles préférences de la Reine du ciel ; je suppliée de guider ma main, afin de ne pas tracer une seule ligne qui ne lui soit agréable. Ensuite, ouvrant le saint Evangile, mes yeux sont tombés sur ces mots : « Jésus, étant monté sur une montagne, appela à lui ceux qu’il lui plut[2]. » Voilà bien le mystère de ma vocation, de ma vie tout entière ; et surtout le mystère des privilèges de Jésus sur mon âme. Il n’appelle pas ceux qui en sont dignes, mais ceux qu’il lui plaît. Comme le dit saint Paul : « Dieu a pitié de qui il veut, et il fait miséricorde à qui il veut faire miséricorde[3]. Ce n’est donc pas l’ouvrage de celui qui veut, ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde[4]. »

Longtemps je me suis demandé pourquoi le bon Dieu avait des préférences, pourquoi toutes les âmes ne recevaient de le voir pas une égale mesure de grâces. Je m’étonnais prodiguer des faveurs extraordinaires à de grands pécheurs comme saint Paul, saint Augustin, sainte Madeleine et tant d’autres qu’il forçait, pour ainsi dire, à recevoir ses grâces. Je m’étonnais encore, en lisant la vie des saints, de voir Notre-Seigneur caresser du berceau à la tombe certaines âmes privilégiées, sans laisser sur leur passage aucun obstacle qui les empêchât de s’élever vers lui, ne permettant jamais au péché de ternir l’éclat immaculé de leur robe baptismale. Je me demandais pourquoi les pauvres sauvages, par exemple,

  1. Cette vierge précieuse, bien que sans aucune valeur artistique, s’était animée deux fois pour éclairer et consoler, en de graves circonstances, la mère de Thérèse. Elle-même reçut, par cette statue bénie, des grâces signalées, comme nous le verrons plus loin.
  2. Marci, iii, 13.
  3. Exod., xxxiii, 18, 19.
  4. Rom., ix, 16.