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Page:Histoire d’une âme (édition de 1912).pdf/66

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Sœur Thérèse de l’Enfant-Jésus.

prenait dans ses bras, m’élevait bien haut, m’asseyait sur son épaule, m’embrassait et me caressait de toutes manières.

Cependant je ne puis dire qu’il me gâtait. Je me rappelle très bien qu’un jour où je me balançais en folâtrant, mon père vint à passer et m’appela, disant : « Viens m’embrasser, ma petite reine ! » Contre mon habitude, je ne voulus point bouger et répondis d’un air mutin : « Dérange-toi, papa ! » Il ne m’écouta pas et fit bien. Marie était là. « Petite mal élevée, me dit-elle, que c’est vilain de répondre ainsi à son père ! » Aussitôt je sortis de ma fatale balançoire ; la leçon n’avait que trop bien porté ! Toute la maison retentit de mes cris de contrition ; je montai vite l’escalier, et cette fois je n’appelai point maman à chaque marche ; je ne pensais qu’à trouver papa, à me réconcilier avec lui, ce qui fut bien vite fait.

Je ne pouvais supporter la pensée d’avoir affligé mes bien-aimés parents ; reconnaître mes torts était l’affaire d’un instant, comme le prouve encore ce trait d’enfance raconté si naturellement par ma mère elle-même :

Un matin, je voulus embrasser la petite Thérèse avant de descendre ; elle paraissait profondément endormie ; je n’osais donc la réveiller, quand Marie me dit : « Maman, elle fait semblant de dormir, j’en suis sûre. » Alors je me penchai sur son front pour l’embrasser ; mais elle se cacha aussitôt sous sa couverture en me disant d’un air d’enfant gaté : « Je ne veux pas qu’on me voie. » — Je n’étais rien moins que contente, et le lui fis sentir. Deux minutes après je l’entendais pleurer, et voilà que bientôt, à ma grande surprise, je l’aperçois à mes côtés ! Elle était sortie toute seule de son petit lit, avait descendu l’escalier pieds nus, embarrassée dans sa chemise de nuit plus longue qu’elle. Son petit isage était couvert de larmes. — « Maman, me dit-elle en se jetant à mes genoux, maman, j’ai été méchante, pardonne-moi ! » Le pardon fut vite accordé. Je pris mon chérubin dans mes bras, le pressant sur mon cœur et le couvrant de baisers.