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Page:Histoire d’une âme (édition de 1912).pdf/65

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Histoire d’une âme. — Chapitre premier.

pas l’escalier toute seule, à moins de m’appeler à chaque marche : Maman ! maman ! Autant de marches, autant de maman ! et si par malheur j’oublie de répondre une seule fois : « Oui, ma petite fille ! » elle en reste là, sans avancer ni reculer.

J’allais atteindre ma troisième année, quand ma mère écrivait :

… La petite Thérèse me demandait l’autre jour si elle irait au ciel : « Oui, si tu es bien sage », lui ai-je répondu. — « Ah ! maman, reprit-elle alors, si je n’étais pas mignonne, j’irais donc en enfer ? mais moi je sais bien ce que je ferais : je m’envolerais avec toi qui serais au ciel ; puis tu me tiendrais bien fort dans tes bras. Comment le bon Dieu ferait-il pour me prendre ? » J’ai vu dans son regard qu’elle était persuadée que le bon Dieu ne lui pouvait rien, si elle se cachait dans les bras de sa mère.
Marie aime beaucoup sa petite sœur. C’est une enfant qui nous donne à tous bien des joies ; elle est d’une franchise extraordinaire : c’est charmant de la voir courir après moi pour me faire sa confession. « Maman, j’ai poussé Céline une fois, je l’ai battue une fois ; mais je ne recommencerai plus. »
Aussitôt qu’elle a fait le moindre malheur, il faut que tout le monde le sache : hier, ayant déchiré sans le vouloir un petit coin de tapisserie, elle s’est mise dans un état à faire pitié ; puis il fallait bien vite le dire à son père. Lorsqu’il est rentré quatre heures après, personne n’y pensait plus ; mais elle est accourue vers Marie, lui disant : « Raconte vite à papa que j’ai déchiré le papier. » Elle se tenait là, comme une criminelle qui attend sa condamnation ; mais elle a dans sa petite idée qu’on va lui pardonner plus facilement si elle s’accuse.

En trouvant ici le nom de mon cher petit père, je suis amenée naturellement à certains souvenirs bien joyeux. Quand il rentrait, je courais invariablement au-devant de lui et m’asseyais sur une de ses bottes ; alors il me promenait ainsi, tant que je le voulais, dans les appartements et dans le jardin. Maman disait en riant qu’il faisait toutes mes volontés : « Que veux-tu, répondait-il, c’est la reine ! » Puis il me