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Page:Histoire des philosophes modernes, Tome 1, 1773.djvu/16

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Grecs non-seulement des découvertes importantes , mais encore l’exemple des plus grandes vertus. Aussi étoient-ils si estimés, que ce qui émanoit de leur Tribunal étoit redoutable aux Souverains même , et aux Généraux d’Armée , qui se faisoient un devoir de s’y soumettre. Les Sages de la Grèce disoient les plus fortes vérités à Périandre, Roi de Corinthe. Ils lui représentoient ses devoirs ; le reprenoient de ses vices ; le soulageoient dans la pénible fonction de gouverner les hommes ; et Périandre étoit tout glorieux de suivre leurs conseils. Eh ! de qui les Rois peuvent-ils en attendre de bons, si ce n’est de ceux qui s’occupent sans cesse de la recherche de la vérité ; qui connoissent les sources de nos erreurs et de nos foiblesses , la cause de nos illusions et de nos préjugés ; qui s’étudient à ne marcher jamais qu’avec le flambeau de la raison ; et qui plus soigneux d’éclairer leur esprit que de satisfaire aux besoins du corps , ont contracté une forte d’habitude de ne juger des choses qu’après l’examen le plus rigoureux et les connoissances les plus étendues ?

Cette haute considération à laquelle les Philosophes étoient parvenus, fut nuisible à la Philosophie. Persuadé qu’on ne pouvoit rien ajouter à ce qu’ils avoient publié, on ne s’occupa plus qu’à les commenter. On crut même ne devoir penser que d’après eux. On se para de leur esprit ; on négligea de cultiver le sien propre , et de lui donner l’effor. De-là naquirent la pusillanimité et le découragement. Les forces de l’esprit humain dépérirent aussi insensiblement, pour n’être pas exercées. L’imagination s’affaissa , et elle perdit jusqu’à la faculté d’exprimer ce que le jugement lui suggéroit. Dès-lors on devint inintelligible, et cette obscurité fut un tombeau pour le bon sens.

Tous les excès ont leur terme. On étoit trop stupide pour qu’on pût le devenir davantage. C'étoit véritablement le temps du triomphe de la barbarie et de la déraison. Les plus clairvoyans s’en apperçurent & voulurent secouer le joug de cette espèce d’esclavage. Ils donnèrent le signal de la révolte , et la révolution se fit. C’est aux Grecs qu’on en fut redevable. Quelques-uns d’entre eux s’étant expatriés volontairement , ou fugitifs de Constantinople, dont Mahomet II s’étoit emparé, vinrent en Italie vers le milieu du quinzième siècle, et déclamèrent hautement contre l’ignorance et contre les vices qu’elle traîne à sa suite. De l’Italie, ce renouvellement passa en Allemagne, et de-là il gagna toute l’Europe.

C’est là l’époque de la renaissance des Lettres , et du quatriéme âge de la Philofophie , lequel et celui des Philofophes modernes dont je me propose d’écrire l’Hitoire.