Page:Histoire des philosophes modernes, Tome 1, 1773.djvu/18

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

assommantes, et si son Latin se ressentoit un peu de celui du siècle d'Auguste.

J'ai cité au bas de la page où comment l'Histoire particulière d'un Philosophe, les Mémoires d'après lesquels j'ai composé sa vie ; mais je n'ai indiqué que les principaux, pour ne point faire parade d'une érudition fastueuse. J'ai supprimé par cette raison les citations des Ouvrages où j'ai puisé plusieurs anecdotes, parce que ces Ouvrages ont un rapport trop éloigné avec l'Histoire des Philosophes, et j'ai cru ne devoir nommer que ceux qui les concernent particulièrement. Cela m'a paru suffisant pour mériter la confiance du Lecteur : car un bon choix supposé et une connoissance très-étendue de la matière que l'on traite, et une grande justesse d'esprit. Aussi quand on est assez heureux que de le faire, on est sur d'avoir des traits vrais et en grand nombre. Avec un peu d'attention, on n'avance que dese faits qu'on ne peut révoquer en doute, et on connoît aisément ceux qui n'ont pas une authenticité suffisante. A cet égard, je crois qu'il vaut mieu encourir le reproche de n'avoir pas été assez crédule, que celui de l'avoir trop été ; et c'est le parti que j'ai pris.

Ce seroit peut-être ici le lieu de parler de l'utilité de cette Histoire ; de faire sentir que nous n'avons encore que l'Histoire des anciens Philosophes ; que celle des Philosophes modernes manque absolument ; et qu'une composition dans laquelle on doit présenter les pensées, les systêmes, et les découvertes des plus grands Génies, ne peut former qu'un Ouvrage extrêmement curieux, et très-important pour le bien de l'humanité. Cette utilité frappera toujours les personnes qui pensent ou qui voudront y réfléchir. Il est néanmoins un avantage essentiel à relever : c'est qu'en exposant en grand et avec soin les sentiments des Philosophes, le Public connoîtra enfin leur véritable doctrine. Nous avons, il est vrai, beaucoup de Livres où l'on en trouve des Extraits ; mais bien loin que ces morceaux ayent donné une juste idée des Philosophes, ils n'ont servi qu'à les faire décrier. Cela devoit être. Toutes les fois qu'on en jugera par quelques lambeaux ramassés par-ci par-là, et souvent même pris à contre-sens, on s'abandonnera (suivant la remarque d'un Auteur judicieux [1]) en invectives contre la Philosophie ; "et par les antithèses qu'on en fera avec la Religion, on se peruadera qu'on est bon Chrétien à proportion qu'on est peu raisonnable, comme si la sagesse évangélique consistoit à s'éloigner de la raison et

  1. M. Crousaz dans sa Logique, Tom. II, L. III, Ch. I, de la seconde Edition