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espèce de paralysie, lui laissa le commandement de toute son armée, et se mit en route pour revenir à Rome. On sait qu’atteint d’une dyssenterie qui était venue se joindre à ses autres maux, l’empereur mourut à Sélinonte en Cilicie ; mais ce qui a été controversé, c’est la question de savoir si, au moment de sa mort, l’adoption d’Adrien était un fait accompli. À l’aide de médailles alexandrines et de quelques inscriptions, Dodwell[1] avait voulu prouver non-seulement qu’Adrien avait été adopté par Trajan, mais que cette adoption était antérieure à la guerre des Parthes. Un examen plus approfondi a fait reconnaître que les monuments sur lesquels s’appuyait l’érudit anglais, ou n’avaient pas le sens qu’il leur prêtait, ou étaient d’une authenticité très-contestable. En effet, le témoignage des historiens favorables à l’adoption prouve qu’Adrien en reçut la nouvelle le 9 août, et apprit la mort de Trajan deux jours plus tard, c’est-à —dire le 11 du même mois ; mais Dion Cassius va jusqu’à croire que Plotine fit jouer en faveur de son neveu une scène semblable à celle que Regnard a placée dans sa comédie du Légataire, et il faut avouer que Dion parle en homme qui paraît bien renseigné : « Adrien, dit-il, ne fut jamais adopté par Trajan. Il était cependant son parent, son compatriote ; il l’avait eu pour tuteur, il avait épousé sa nièce, et, toutefois, il n’en avait pas obtenu de marque décisive d’affection. Il n’avait pas même encore été nommé consul ordinaire lorsque Trajan mourut sans enfants ; et sans Plotine et Attianus, qui se mirent en tête de lui donner Adrien pour successeur, jamais ce dernier n’eût obtenu l’empire. Mon père Apronianus ayant eu l’occasion, lorsqu’il gouvernait la Cilicie, d’obtenir les renseignements les plus exacts au sujet de cet événement, m’en a raconté tous les détails. On cacha pendant plusieurs jours la mort de Trajan, afin d’avoir le temps de simuler une adoption, et ce fut Plotine qui signa les lettres adressées au sénat à cette occasion[2]. » Spartien de son côté, bien qu’il admette l’adoption, avoue que beaucoup d’écrivains supposaient que Trajan n’avait pas l’intention de se nommer un successeur, ou du moins qu’il voulait réserver au sénat le droit de choisir parmi ceux qu’il lui aurait désignés : « Il y a même des gens, ajoute-t-il, qui prétendent que l’adoption d’Adrien fut le fait de Plotine et de ses amis : ils auraient supposé, à la place de Trajan déjà expiré ; un imposteur qui dictait ses dernières volontés d’une voix mourante[3]. » Quoi qu’il en soit, le premier mot d’Adrien en recevant la pourpre semblait annoncer qu’il en était digne. Il rencontra un de ses ennemis, et lui dit : « Vous voilà sauvé ; Evasisti. » Heureux le peuple romain, si Adrien eût toujours pensé ainsi ! Il


commençait son règne comme le prince qui mérita en France le nom de Père du peuple.

Ce fut le 11 août de l’an de Rome 870 (de Jésus-Christ 117) que l’empire changea de maître. Avec Trajan s’éteignit l’esprit de conquêtes, et pour la première fois le dieu Terme recula. Soit que dans sa susceptibilité vaniteuse Adrien craignît de ne pouvoir égaler les exploits de Trajan, soit qu’il eût besoin de la paix pour se livrer à ses goûts artistiques, soit que les troubles de quelques provinces l’inquiétassent pour la sûreté générale de l’État, il se hâta d’abandonner toutes les conquêtes de son prédécesseur au delà du Tigre et de l’Euphrate. On peut considérer la dernière des causes que nous venons d’énumérer comme la plus plausible, s’il était vrai, ainsi que le dit Spartien[4], que les Maures fissent alors des irruptions continuelles contre l’Afrique romaine, que les Sarmates fussent en guerre ouverte avec l’empire, que la Bretagne eût secoué le joug, que l’Egypte fût troublée par des séditions, que la Lycie et la Palestine fussent en pleine révolte. Ainsi donc, l’avènement d’Adrien s’inaugurait par l’abandon de trois provinces : il rappelait les armées romaines de l’Assyrie, de la Mésopotamie, de l’Arménie ; et, ajoute Eutrope, il eût renoncé de même à la Dacie, si on ne l’en eût détourné en lui observant que c’était livrer aux barbares les colons romains venus en grand nombre pour peupler ces campagnes, dévastées par les guerres de Décébale[5]. Tant de sacrifices pouvaient avoir un fâcheux effet sur l’esprit national. Adrien espéra en prévenir les conséquences par de grandes libéralités : il doubla la gratification que chaque empereur faisait aux soldats en montant sur le trône, et, de retour à Rome, où il apportait les cendres de Trajan, non-seulement il fit remise à l’Italie du coronaire, c’est-à-dire de l’or qu’on versait dans le trésor de l’empereur comme droit de joyeux avènement, aurum coronarium, mais il remit encore à toute la population de l’empire l’arriéré des sommes dues au fisc, et équivalant environ à 160 millions de francs. Dion Cassius, Eusèbe, Cassiodore, le Chronicon paschale, ont relaté d’une manière plus ou moins étendue cet acte de souveraine munificence, et une inscription trouvée à Rome au seizième siècle en a consacré la teneur[6]. Quant à Spartien, voici en quels termes il rend compte de ce fait : « Ne négligeant rien, dit-il, de ce qui pouvait lui gagner l’affection des peuples, Adrien remit aux particuliers toutes leurs dettes envers le fisc ; les dettes des provinces leur furent également remises, et, pour donner toute sécurité aux débiteurs, il fit brûler dans le forum de Trajan leurs obligations[7]. » Des monnaies d’or et d’argent frappées à cette époque font allusion à cette particularité : elles

  1. Dissertation sur saint Cyprien, p. 67, éd. d’Oxford, 1681.
  2. Dion., lib, LXIX, c. i.
  3. Vita Adr., c. iv.
  4. (chap. v.
  5. Entr., lib. VIII, c. vi.
  6. Voyez Grnier, 10, 6 ; et Ovelli, Bos.
  7. Chap. vii.