Page:Hoefer - Biographie, Tome 18.djvu/476

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

l’Angleterre, et alla l’offrir à la reine Philippe de Hainaul, femme d’Edouard III, laquelle « liement et doucement la reçut de lui, et lui en fit grand profit ». Un autre motif, si on l’en croit, amenait encore Froissart en Angleterre ; c’était le désir de se soustraire par les voyages à des chagrins amoureux. Tout jeune il s’éprit d’une noble demoiselle. Cette passicin dura dix ans dans toute sa force , et se ranima même à un âge avancé , « malgré sa tête chenue et ses cheveux blancs ». Comme Froissart n’a parlé de cet amour que dans ses poésies, on pourrait n’y voir qu’une fiction ; mais sa passion est peinte aVeC tant de vivacité et parfois de naturel qu’on ne peut guère en contester la réalité. Le poëte, qui se croyait payé de retour, apprit tout à coup que sa dame allait se marier. Il en conçut un- tel désespoir qu’il en fut malade pendant plus de trois mois. Il prit enfin le parti de voyager pour se distraire et pour rétablir sa santé. Quoique très-bien reçu en Angleterre, il n’y resta pas longtemps. La reine Philippa de Hainaut, ayant connu de lui par un virelai la cause de son mal, lui conseilla de retourner dans sa patrie, à condition qu’il reviendrait en Angleterre. Il revmt en effet Tannée suivante, en 1362, et fut nommé clerc de la chapelle de la reine, car au milieu de son intrigue amoureuse il était entré dans les ordres. Philippe de Hainaut le prit aussi pour son écrivain ( ou secrétaire), et se plut à lui faire composer des poésies d’amour. Lui-même a peint avec sa vivacité ordinaire les obligations qu’il eut à sa noble protectrice, qui « le fit et créa », et aux dépens de laquelle, « je cherchoie, dit-il, la plus grande partie de la chrétienté, voir que à chercher fait ». C’est à bon droit que Froissart se vante d’avoir « cherché la plusgrande partie de la chrétienté ». Vers 1364^ il se rendit en Ecosse, et passa plusieurs jours chez les Douglas. Il suivit le prince de Galles à Bordeaux en 1366, et y fut témoin de la naissance de Richard, fils de ce prince. 11 voulait accompagner celui-ci dans son expédition d’Espagne contre Henri de ïranstamare; mais il n’alla pas plus loin que Dax, où il reçut du prince l’ordre de retourner en Angleterre. En 1368, il passa en Italie à la suite de Lionel, duc de Clarence, et assista, avec Cliaucer et Pétrarque, aux fêtes qui furent données à Milan, à l’occasion du mariage de ce prince avec la fille de Galeas Yisconti. 11 visita ensuite la Savoie , Bologne , Ferrare , Rome , et traversa l’Allemagne pour revenir en Flandre. Pendant son voyage, Philippe de Hainaut étant morte, en 1369, il renonça à retourner en Angleterre, et se fixa en Flandre, où il fut pourvu de la cure de Lestines. Mais la vie sédentaire d’un prêtre de campagne ne convenait pas à l’humeur aventureuse de Froissart, et il se remit à courir le monde, « tant pour sa plaisance accomplir et (13S0). f^oy. les Bulletins de V Académie royale de Belgique, t. XIX, n» 4.

voir les merveilles de ce monde , comme pour enquerre les aventures et les armes, lesquelles il escripsoie dans sa chronique ». Il s’attacha en qualité de clerc et presbytérien ( secrétaire et aumôniet) à Wenceslas de Luxembourg ^ dUc de Brabant. Wenceslas était poëte lui-même. Il fit faire un recueil de ses chansons , de ses rondeaux et de ses virelais par Froissart , qui joignant quelques pièces de lui à celles du prince eil forma une espèce de roman, sous le titre de Meliadus, ou le chevalier au soleil d’or, Wenceslas mourut eh 1384, et ne vit pas la fin de cet ouvrage. Froissart passa alors au sei*vice de Guy de Châtillonj comte de Blois, sire d’Avesnes , de Chimay, de Beaumont. Ce prince, libéral et ami des lettres, l’engagea à continuer sa Chronique, et lui fournit les moyens d’en rassembler les matériaux , c’est-à-dire lui donna de quoi voyager encore. « Il mit grande entente, dit le chroniqueur, à ce que je, Jean Froissart , voulsisse dicter et ordonner cette histoire ; et moult lui coûta de ses deniers , car on ne peut faire si grand fait que ce ne soit à peine et à grand coûtage. » Après diverses excursions en Touraine ( 1385), dans le Blaisois et leBerry (1387 et 1387 )j il eut l’idée d’entreprendre un plus long voyage, « Considérai en moi-même , dit-il , que nulle espérance n’étoit que aucuns faits d’armes se fissent en parties de Picardie et de Flandre, puisque paix y étoit, et point ne voulois être oiseux ; car je savois bien que au temps à venir et quand je serai mort, sera cette haute et noble histoire en grand cours, et y prendront tous nobles et vaillants hommes plaisance et exemple de bien faire ; et entrementes que j’avois , Dieu merci , sens, mémoire et bonne souvenance de toutes les choses passées , engin clair et aigu pour concevoir tous les faits dont je pourois être informé touchants à ma principale matière^ âge, corps et membres pour souffrir peine, me avisai que je ne voulois me séjourner de non poursuivre ma matière; et pour savoir la vérité de lointaines besoignes sans que j’envoyasse aucune autre personne en lieu do moi , pris voie et achaison raisonnable d’aller devers haut prince et redouté seigneur Gaston, comte de Foix et de Berne (Béarn). » Il partit en effet, à cheval^ avec des lettres de recommandation de son seigneur, de la part duquel il était d’ailleurs chargé de remettre au prince auteur du Livre des Chasses quatre lévriers, nommés Tristan, Hector, Brun et Reliant. Il fit rencontre à Pamiers d’un bon chevalier, messire Espaing de . Lyon , qui avait fait toutes les guerres du temps et traité les grandes affaires des princes. Us se mirent à voyager de concert, messire Espaing racontant à son compagnon ce qu’il savait de l’histoire des lieux où ils passaient , et Froissart ayant bien soin « de chevaucher de lez-lui pour ouïr sa parole ». Chaque soir ils s’arrêtaient dans des hôtels, où: ils vidaient « des flacons pleins de blanc vin