Alfieri fit ensuite paraître, à différents intervalles, Agamemnon, Virginie, et Oreste. Avant de faire Oreste, il voulut lire celui de Voltaire, qui venait de paraître ; mais Gori l’en dissuada ; et depuis il eut pour système de ne jamais lire les auteurs qui avaient déjà exploité une donnée dramatique dont il voulait se servir.
Dans cette nouvelle carrière, il fut surtout puissamment encouragé par les sentiments que lui inspira la belle et noble comtesse d’Albany, femme du prétendant Charles-Edouard, plus connu sous le nom de chevalier de Saint-George. Ce prince, qui avait montré d’abord dans ses entreprises en Angleterre un caractère chevaleresque, s’était ensuite dégradé par le vice de l’ivrognerie : il faisait subir à sa femme des traitements indignes. Alfieri s’attacha à elle, et l’aida à se sauver de la maison de son mari. La comtesse d’Albany vint se mettre à Rome sous la protection du pape ; Alfieri l’y suivit. Il trouva chez elle, non pas comme auprès des femmes ordinaires un dérangement à ses occupations utiles et un rapetissement de ses pensées, mais un aiguillon, un secours et un exemple pour tout ce qui était élevé. Ce fut vers cette époque que, pour jouir d’une indépendance plus complète, il fit donation de ses biens à sa sœur, moyennant une rente viagère. De 1777 à 1782, il composa successivement la Conjuration des Pazzi, Don Garcia, Rosmonde, Marie Stuart, Timoléon, Octavie, Mérope, et Saül. Ces pièces ajoutées aux premières forment en tout quatorze tragédies, composées en moins de sept ans ; encore l’auteur avait-il écrit plusieurs autres ouvrages en prose et en vers, tels que la traduction de Salluste et le Traité de la Tyrannie ; le poème de l’Étrurie vengée, en 4 chants ; et les cinq grandes Odes sur la révolution d’Amérique. Il avait même trouvé le temps de faire, dans cet intervalle, un voyage en Angleterre pour y acheter des chevaux. A Colmar, où il avait suivi la femme à laquelle, pour nous servir de ses paroles, il devait tout ce qu’il avait fait de mieux, il composa Agis, Sophonisbe, et Myrrha, et pendant un second séjour dans cette ville, Brutus Ier et Brutus II. Il vint alors avec son amie à Paris, pour y faire
Le travail était devenu un besoin pour lui. Parmi les études auxquelles il se livra dans ses dernières années, il faut citer celle du grec, qu’il entreprit à quarante-huit ans, et qu’il ne cessa de suivre avec une ardeur infatigable. Des traductions du grec, quelques nouvelles compositions dramatiques, des comédies d’un genre nouveau, des satires, occupaient le reste de son temps. Il s’excéda enfin de travail ; des écarts de régime achevèrent de l’épuiser, et il mourut à Florence à l’âge de cinquante-quatre ans. Peu de temps avant sa mort, « afin, disait-il, de se récompenser lui-même d’avoir réussi, après tant de peine, à apprendre le grec, » il imagina un collier d’ordre sur lequel devaient être gravés les noms de vingt-trois poètes tant anciens que modernes, et dont il voulait se décorer. Ce collier devait être exécuté en or et enrichi de pierres précieuses. Un camée, représentant Homère, y était attaché ; on y lisait deux vers grecs de la composition de l’auteur, qui les traduisit ensuite en italien ; mais il dissimula en partie dans sa traduction l’orgueil du texte grec, qui signifie littéralement : « Alfieri, en se faisant lui-même chevalier d’Homère, inventa un ordre plus noble (plus divin) que celui des empereurs. » Il fut enterré dans l’église de Sainte-Croix à Florence, où reposent un grand nombre d’hommes célèbres. La respectable amie qui lui survécut lui destina aussitôt un tombeau magnifique, en marbre, dont le célèbre Canova fit le dessin ; on le voit gravé en tête du second volume de la vie d’Alfieri, écrite par lui-même. Ce mausolée, que Canova a exécuté avec une perfection digne de son talent, se trouve placé entre le